Le gouvernement du Canada a fait paraître cette semaine des publicités mettant en garde les citoyens contre les dangers des mariages frauduleux, ces unions contractées avec des étrangers secrètement plus intéressés par le passeport canadien que par l'époux ou l'épouse. La difficulté: y voir clair entre la fraude et la passion qui s'éteint, tout simplement, loin des palmiers.

Il avait un coeur d'enfant, il s'occupait de ses vieux grands-parents, «il avait de ces belles valeurs familiales qui se perdent ici». De plus, «il était vraiment bon danseur». Il n'en fallait pas plus pour faire chavirer le coeur de Véronique*, qui croyait avoir enfin rencontré l'homme de sa vie à Cuba.

Pour financer tous les voyages qui ont suivi, Véronique a vendu sa maison. Pour plus de flexibilité, elle a quitté son emploi et est devenue contractuelle.

Six mois après le mariage, tout était réglé. «Notre dossier était béton. Nous avons présenté aux autorités canadiennes tout ce qu'elles exigeaient: nos photos, nos lettres, nos factures de téléphone, les preuves de mes voyages...»

En cinq petites semaines au Québec, Véronique a découvert que son mari la trompait avec une autre Québécoise. «L'autre fille n'avait pas d'argent et, de toute façon, elle ne voulait pas se porter garante de lui pendant des années, comme l'exige le gouvernement. Elle lui a dit de trouver une autre femme et qu'une fois ici, elle aviserait.»

«C'est dur, d'être manipulée comme ça. On est détruite et on n'a pas l'énergie de se battre. J'ai finalement demandé le divorce sans entreprendre d'autres démarches contre mon ex.»

Et aujourd'hui? Véronique est de nouveau en couple avec un Cubain, «mais avec un Cubain qui était déjà installé ici». Ironie des ironies, elle est aujourd'hui douanière.

Ottawa serre la vis

La nouvelle mesure permettant au gouvernement de révoquer le statut d'une personne si elle n'a pas vécu deux ans avec son nouveau conjoint canadien (après l'obtention de la résidence permanente) ne soulève pas l'enthousiasme de Véronique. «Tout ce que ça va donner, c'est que la personne va se faire niaiser encore plus longtemps si l'intention de départ est mauvaise.»

La publicité du gouvernement du Canada est-elle une bonne chose, à son avis? Pas davantage, dit-elle. «Dans le fond, le gouvernement sait très bien qu'il ne peut pas faire grand-chose, d'autant plus que la réunification familiale, c'est quelque chose d'assez sacré sur le plan de l'immigration.»

De la fraude oui, 
mais pas toujours

Stéphane Handfield, avocat spécialisé dans les causes d'immigration, exprime aussi des réserves par rapport à la publicité d'Ottawa. «Il ne faut pas être naïf. Oui, les mariages frauduleux, ça existe. [...] En même temps, il faut éviter de sauter trop vite aux conclusions, de penser que l'histoire, c'est toujours celle du méchant immigrant qui veut vous marier seulement pour votre citoyenneté.»

«Combien d'hommes et de femmes se mettent en couple et réalisent ensuite que, finalement, ils n'ont plus très envie d'avoir l'autre dans leurs chaudrons?», demande Me Handfield.

Cela arrive tous les jours et les relations ficelées de loin en loin et à la va-vite sont d'autant plus fragiles que l'un des deux doit en plus composer avec le mal du pays et une intégration qui n'est pas toujours facile.

«Dans certains cas, c'est l'épouse canadienne qui, au quotidien, trouve le Marocain qu'elle a épousé beaucoup moins intéressant. Comme elle est responsable de lui pendant trois ans, il peut être très tentant pour elle de dire: "Il ne m'aimait pas, il m'a épousée simplement pour immigrer."»

Me Handfield dit avoir traité six ou sept dossiers de ces mariages soupçonnés d'être frauduleux. Dans tous les cas, dit-il, le tribunal a conclu qu'il ne s'agissait pas de cela. Parmi ces histoires, il évoque celle d'un couple homosexuel.

«Le citoyen canadien avait épousé un Cubain, et une fois au Canada, c'est le Canadien qui a mis fin à la relation parce qu'elle ne lui convenait plus. Le Québécois était même venu témoigner pour dire que le Cubain voulait rester avec lui, mais que c'est lui qui n'en voulait plus.»

Des mariages arrangés 
et lucratifs

En août dernier, 39 personnes soupçonnées d'avoir participé à des mariages de complaisance pour pouvoir rester au Canada ou pour faire un coup d'argent ont été accusées à Montréal. La tête dirigeante du réseau, un Nord-Africain, était soupçonnée d'avoir «arrangé» à elle seule 315 mariages.

La GRC alléguait qu'Amadou Niang recrutait des Canadiennes -dont plusieurs originaires d'Haïti- prêtes à se marier en échange d'une somme d'argent.

Amadou Niang s'est finalement reconnu coupable d'avoir aidé une vingtaine d'immigrés à venir s'installer au Canada, au moyen de mariages feints.

«Ne vous laissez pas séduire par de l'argent ou d'autres récompenses qui vous sont offerts si vous contractez un mariage de complaisance dans le seul but de faire immigrer quelqu'un au Canada, peut-on lire sur le site internet de Citoyenneté et Immigration Canada. Si vous agissez ainsi, vous pouvez faire l'objet de graves accusations au criminel et vous devrez quand même respecter les conditions de parrainage.»

Le gouvernement rappelle que celui qui épouse quelqu'un à l'étranger doit subvenir à ses besoins financiers pendant trois ans, même si la relation prend fin. Au surplus, «si votre époux ou conjoint reçoit des prestations d'aide sociale, vous devrez les rembourser».

Un phénomène 
difficile à cerner

Le gouvernement du Canada ignore combien de mariages de complaisance -aussi appelés mariages blancs- ont lieu chaque année, qu'ils soient contractés en toute bonne foi ou non de la part du citoyen canadien.

À Citoyenneté et Immigration Canada, on signale tout au plus qu'environ 46 300 demandes de résidence permanente pour des époux ou conjoints de fait ont été traitées en 2010. De ce nombre, 16% ont été refusées, pour diverses raisons, «dont plusieurs basées sur des preuves que la relation n'était pas légitime».

Cela étant dit, une fois le mariage contracté et une fois le conjoint au pays, ce n'est pas aussi évident. «Le fardeau de la preuve est élevé pour le Ministère, dit Me Handfield. Il n'est pas facile de démontrer que la personne était vraiment de mauvaise foi.»

* Nous avons changé le prénom de notre interviewée, qui voulait éviter d'être reconnue.