La firme de génie-conseil SNC-Lavalin aurait-elle pu éviter le pire scandale de son histoire? Il y a près de 15 ans, un de ses dirigeants a sonné l'alarme au sujet des pratiques douteuses de l'un de ses employés, Riadh Ben Aïssa, dans ses affaires à l'étranger.

À l'époque, on lui a répondu de ne pas s'en mêler, apprend-on dans une enquête à paraître aujourd'hui dans le Report and Business Magazine du Globe and Mail.

Emprisonné en Suisse, Riadh Ben Aïssa a été vice-président directeur de SNC-Lavalin, responsable de la division construction, jusqu'en février dernier. On lui reproche d'avoir orchestré de mystérieux paiements totalisant 56 millions de dollars à des «agents intermédiaires» pour l'obtention de contrats.

Mais apparemment, ces pratiques ne dataient pas d'hier. Dans les années 90, Rod Scriban était vice-président directeur de SNC-Lavalin, responsable de la division internationale. À ce titre, il était chargé de superviser les représentants de l'entreprise à l'étranger.

M. Scriban affirme avoir alerté le service du contentieux au sujet de Riadh Ben Aïssa après avoir constaté que des commissions versées par ce dernier servaient à enrichir sa belle-famille en Arabie saoudite.

M. Scriban, dans son témoignage recueilli par le Globe and Mail, affirme qu'on lui a alors répondu de cesser de s'intéresser au cas de Ben Aïssa.

Si SNC-Lavalin l'avait écouté, elle n'aurait peut-être pas été secouée par un scandale qui l'a fait dégringoler en Bourse, a fait rouler la tête de son PDG Pierre Duhaime et lui a valu non pas un, mais deux recours collectifs, au Québec et en Ontario.

Travail ultra-secret

Selon M. Scriban, le travail de Riadh Ben Aïssa auprès du clan de l'ancien dictateur libyen Mouammar Kadhafi était ultra-secret. À titre de patron de SNC-Lavalin International, il avait accès aux dossiers de tous les pays... sauf à celui de la Libye. «Ce dossier est si risqué que les gens se sentent forcés de le cacher», s'était-il dit à l'époque.

M. Ben Aïssa est détenu sans accusation dans une prison de Berne. Depuis les révoltes arabes du printemps 2011, les autorités helvètes ont enquêté sur plusieurs cas de corruption de dirigeants nord-africains qui détenaient de faramineux comptes bancaires en Suisse. C'est dans le cadre d'une de ces enquêtes que la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a procédé à une perquisition au siège montréalais de SNC-Lavalin, en avril.

Mais Riadh Ben Aïssa n'était pas seulement le grand patron de SNC-Lavalin en Afrique du Nord. À titre de responsable de la division construction de la firme, il était aussi chargé de dossiers majeurs au Québec, dont le contrat de construction du Centre universitaire de santé McGill (CUSM), évalué à 1,3 milliard de dollars.

Le 18 septembre, les locaux du CUSM ont reçu la visite des enquêteurs de l'Unité permanente anticorruption.