«Ma mère m'a élevé avec la ceinture et je me suis toujours dit que jamais je ne lèverais la main sur mon enfant.»

Un soir, l'enfance de Frédérick* a fini par le rattraper. Il a perdu patience. Il a frappé son bébé.

La scène s'est produite dans une belle maison d'un quartier cossu. «Ça a duré quelques secondes, une étincelle.»

La veille, le jeune père n'avait pas dormi de la nuit: après un quart de travail de 12 heures, il avait passé la nuit à consoler son fils, Alexis, 3 mois, qui pleurait sans arrêt. Une nuit qui ressemblait à toutes les autres depuis deux mois. «J'étais dans un état de fatigue extrême, une fatigue que je n'avais jamais ressentie de ma vie.»

Le matin du drame, Alexis avait reçu des vaccins.

«Il pleurait sans arrêt. Chaque fois que je réussissais à l'endormir, je le déposais dans son lit et il recommençait à pleurer, encore pire que la fois d'avant», confie-t-il plusieurs mois après les événements.

«Je n'étais plus capable de savoir s'il avait peur, s'il avait froid, s'il était fatigué ou s'il avait faim. J'avais beau essayer n'importe quoi, absolument rien ne fonctionnait. La sixième fois que je l'ai déposé dans son lit, il s'est mis à pleurer, pleurer et pleurer comme jamais. J'étais rendu au stade O.K., je veux avoir la paix, je ne suis PLUS capable.»

Frédérick décrit la suite comme un trou noir.

«J'ai pété un plomb. Je pense que ç'a été un réflexe par rapport à mon enfance. Lorsque ma mère en avait assez et que c'était le temps de nous faire comprendre qu'il fallait se la fermer, elle utilisait sa ceinture, ses mains, tout ce qui lui tombait sous la main. C'est ce réflexe-là qui est ressorti.»

Frédérick a giflé son bébé.

«Je ne peux même pas dire la force que j'ai utilisée. Je sais que je n'ai pas utilisé une force excessive, car même si je n'étais «pas là», je savais que c'était un bébé que j'avais devant moi et je ne voulais pas le blesser à vie.»

Le visage du poupon s'est mis à enfler. Le geste a laissé une large ecchymose striée de lignes bleues plus foncées - la trace de ses entre-doigts.

«Il hurlait. Je l'ai pris dans mes bras et j'ai marché dans la maison. Je pense que j'ai dû faire de la salle à manger à sa chambre 200 fois en 30 minutes. Juste pour essayer de le calmer. Je lui ai donné du Tempra pour apaiser la douleur.»

Mensonges

La mère d'Alexis est rentrée à la maison trois quarts d'heure plus tard.

«Je lui ai raconté ce à quoi j'ai pensé sur le moment. J'ai dit qu'il s'était coincé le bras dans sa table à langer alors que j'étais sorti de la pièce quelques minutes. J'ai raconté qu'en tentant de se décoincer, il s'était débattu et frappé le visage.»

La petite famille s'est rendue à l'hôpital Sainte-Justine. Frédérick a répété l'histoire aux médecins. «J'ai essayé de détourner la vérité le plus possible, autant à ma conjointe qu'à l'hôpital.»

C'est le Dr Alain Sirard, pédiatre en maltraitance, qui a examiné son enfant.

«À un moment donné, il m'a dit: Tu vois, là: je vois les traces de doigts. À cet instant, je l'ai détesté. Je le voyais entrer dans la pièce et j'avais envie de lui lancer toutes les injures possibles au monde.»

Plusieurs spécialistes de l'hôpital ont été mobilisés pour évaluer le cas. «À un moment donné, je me suis rendu compte que je commençais à déranger énormément de personnes qui auraient dû apporter des soins à d'autres enfants. Après 48 heures, j'ai compris que les choses n'iraient pas en s'améliorant. Le Dr Sirard est venu me voir et là, j'ai commencé à parler.»

Aveux

Comme 6889 parents québécois cette année, Frédérick a fait l'objet d'un signalement pour mauvais traitements à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ).

Une enquête multisectorielle - qui permet le partage d'information entre la DPJ, la police et le corps médical - a été ouverte.

Les policiers ont interrogé les parents séparément au poste de police.

«J'ai avoué ce que j'avais fait à l'intervenante de la DPJ et à la police avant de le dire à ma blonde. J'avais très peur de sa réaction. C'est ce dont j'avais le plus peur. Le reste ne m'importait plus. J'avais quasiment un sentiment de nonchalance par rapport à tout ce qui se déroulait.»

«Je n'ai jamais voulu faire de mal à mon enfant, poursuit-il. Mais un soir, tu te retrouves au poste de police assis devant les enquêteurs, tu te fais traiter comme un criminel. Au début, tu ne comprends pas, jusqu'à ce que tu prennes du recul et que tu réalises que oui, tu es un criminel. Oui, j'ai frappé quelqu'un, oui, le geste que j'ai fait a blessé quelqu'un, mais en plus, c'est mon sang, c'est ma famille, c'est le prolongement de mon corps, ce que j'ai de plus précieux.»

Il a été accusé de voies de fait graves. L'affaire est toujours pendante.

Rédemption

Une intervenante de la DPJ a été affectée au dossier. Fédérick a dû se soumettre à une évaluation psychologique. Un spécialiste l'a rencontré trois fois pour évaluer ses capacités parentales. La famille a collaboré avec la DPJ et n'a donc pas eu à se rendre devant un juge du tribunal de la jeunesse. Une entente volontaire a été signée pour empêcher le père de se retrouver seul avec son fils pour une période de six mois.

Sa conjointe, qu'il connaît depuis près de 10 ans, a accepté qu'il reste à la maison. Aujourd'hui, il a le droit être seul avec son fils.

La DPJ a conclu qu'il s'agissait d'un acte isolé, que le père avait les capacités de s'occuper de son bébé et qu'il avait acquis, en thérapie, des outils pour gérer sa colère. Elle a aussi tenu compte du fait que la mère prend très bien soin de son enfant.

«Si je n'avais pas été forcé à faire énormément de travail sur moi-même, j'aurais probablement eu un autre geste d'impatience envers mon fils», dit-il aujourd'hui. Avec le recul, il dit qu'il aurait dû déposer son enfant dans sa couchette, quitter la pièce et même sortir de la maison lorsqu'il a commencé à bouillir de l'intérieur.

«Probablement qu'un jour, mon fils va faire quelque chose qui va me faire disjoncter encore plus que j'ai disjoncté cette journée-là. C'est quelque chose que j'appréhende. Mais ce jour-là, je vais garder le contrôle parce que je ne veux pas que mon fils soit éduqué dans la peur que j'ai eue quand j'étais enfant. Mon grand-père a levé la main sur ma mère. C'est une chaîne que je veux briser. Briser la chaîne de la violence, c'est un combat de tous les jours.»

*Tous les noms ont été changés