Le cannabis fait de moins en moins peur. Jamais les Canadiens n'auraient été aussi favorables à sa décriminalisation que maintenant. Selon un récent sondage, les deux tiers de la population estiment que ceux qui se font arrêter avec une petite quantité de cannabis ne doivent pas être punis. Pendant ce temps, chercheurs, militants, politiciens, artistes et même médecins plaident de plus en plus ouvertement pour la drogue illicite la plus populaire au pays. Regard sur un changement de philosophie.

Chicago vient de le faire. La Californie est passée bien près et l'Uruguay l'envisage sérieusement. Et si le gouvernement du Canada est loin d'être séduit par ce qui est en voie de devenir une véritable tendance pour la décriminalisation du cannabis, la population, quant à elle, voit les choses autrement.

«Il semble y avoir de plus en plus de gens qui sont pour cette idée», note la directrice générale du Centre québécois de lutte aux dépendances, Renée Latulippe. Un sentiment qui se traduit autant sur le terrain que dans les enquêtes d'opinion. Un sondage Ipsos Reid commandé par Postmedia News et Global TV il y a quelques jours à peine révèle que 66% des Canadiens croient que la possession d'une petite quantité de marijuana ne devrait plus être punie par la loi. C'est dans la région atlantique que les gens y sont le plus favorables, alors qu'on rencontre la plus forte opposition en Alberta.

Les choses ont bien changé. Il y a à peine 10 ans, seulement un Canadien sur deux appuyait la décriminalisation de la marijuana. En 1987, ils étaient moins de 40%. Pourquoi, alors, ce changement de cap, qui s'opère malgré les campagnes de sensibilisation de plus en plus nombreuses dans les écoles et, plus récemment, à la télévision? «Il y a une banalisation des impacts de la consommation de drogue, estime Renée Latulippe. Les gens pensent à tort que le pot est moins dangereux que le simple tabac», dit-elle. Elle croit que la publicité sur les bienfaits médicaux de la plante y est aussi pour quelque chose.

Marc-Boris Saint-Maurice, directeur du Centre compassion de Montréal et fondateur du Bloc Pot, sent aussi le vent tourner. «Ça fait plusieurs années qu'on le remarque juste en parlant avec les gens. C'est dommage que le gouvernement soit plus lent à changer que sa population», dit-il. Aujourd'hui, des artistes, le chanteur Mononc' Serge par exemple, militent publiquement en faveur de la drogue sans que personne n'en fasse de cas. Même des politiciens admettent, sans conséquence, avoir déjà consommé du cannabis. Lors de son dernier congrès, le Parti libéral a voté non pas pour la décriminalisation, mais pour la légalisation pure et simple de la marijuana.

Conséquences économiques

Cette avenue est plus logique, estime le chercheur Stephen Easton de l'Institut Fraser, qui a mené une rare étude sur la question. Selon lui, tant qu'à décriminaliser, aussi bien légaliser. «Si on ne fait que décriminaliser le cannabis, le prix de la drogue va augmenter avec la demande et le crime organisé s'enrichira», explique-t-il. En légalisant le cannabis, au contraire, le gouvernement pourrait recueillir des millions en taxes, comme il le fait avec l'alcool ou le tabac. «Et à long terme, le prix du cannabis diminuerait sensiblement», prévoit l'expert.

Cette position plus radicale gagne des appuis même chez les médecins. Pas pour des raisons économiques, mais plutôt médicales. Le Conseil des agents de la santé de la Colombie-Britannique, par exemple, s'inquiète de l'accessibilité grandissante de la substance qui, en l'absence de réglementation, est parfois particulièrement dangereuse.

«Il y a toutes sortes de choses là-dedans, confirme Renée Latulippe. De l'aluminium, du goudron. Ce n'est pas de la simple herbe et rares sont ceux qui fument avec un filtre.»

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Le pot au Canada et ailleurs dans le monde

États-Unis

CALIFORNIE

La culture et la consommation de la marijuana à des fins thérapeutiques sont légales depuis 1996. Une ordonnance médicale est requise pour faire un achat. En 2010, les Californiens ont rejeté par référendum un projet de légalisation complète de la consommation, de la culture et du commerce de la marijuana.

CHICAGO

Le 27 juin, les élus municipaux ont voté en faveur de la décriminalisation de la possession de moins de 15 g de marijuana par un adulte. Les personnes trouvées en possession de cette quantité de drogue ne sont plus arrêtées et aucune mention n'est faite au casier judiciaire. Les fautifs doivent toutefois s'acquitter d'une amende de 250$ à 500$.

Danemark

La consommation de cannabis ne constitue pas en elle-même une infraction. On considère que détenir moins de 10 g correspond aux besoins personnels. Le contrevenant reçoit alors un avertissement. La possession d'une quantité comprise entre 10 et 100 g entraîne une amende de 300 à 3 000 couronnes. Une peine d'emprisonnement est imposée aux détenteurs de plus de 100 g.

Allemagne

Aucune disposition n'interdit expressément la consommation des produits stupéfiants. Si la loi interdit la possession de cannabis, le tribunal peut renoncer à sanctionner une personne qui a la drogue en sa possession s'il ne détient qu'une faible quantité destinée à son usage exclusif.

Angleterre

La consommation du cannabis n'est pas interdite. En posséder sans autorisation est toutefois prohibé. La détention d'une petite quantité de drogue destinée à la consommation personnelle est passible d'une peine d'emprisonnement de trois mois au plus, d'une amende pouvant s'élever à environ 3000$ ou des deux peines cumulées. La Cour d'appel estime que l'amende est la sanction la plus appropriée.

Uruguay

Le gouvernement a présenté, le 20 juin, un projet de loi prévoyant la légalisation de la production et de la distribution du cannabis «sous contrôle exclusif» de l'État. Le but est de combattre le trafic de drogue et de détourner les consommateurs de pâte de cocaïne bon marché. Plusieurs observateurs redoutent maintenant la réaction américaine.

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Le cannabis en chiffres

34 391 kg: la quantité de marijuana saisie en 2009 par les organismes canadiens d'application de la loi, dont 1 845 734 plants.

60%: pourcentage de la marijuana saisie en 2009 par l'Agence des services frontaliers du Canada provenant de la Jamaïque. Elle était destinée aux marchés ontarien et québécois.

41,5% des Canadiens ont déjà consommé du cannabis, 11% en ont consommé dans la dernière année.

44% des Québécois ont déjà consommé de la marijuana à l'âge de 16 ans. L'âge moyen de la première consommation chez les jeunes de 15 à 24 ans est de 15,6 ans.

420 000: nombre de Canadiens consommant du cannabis pour des raisons médicales.

12,2% des hommes et 6,2% des femmes consomment régulièrement du cannabis au Canada.

Sources : GRC, Centre québécois de lutte aux dépendances, Santé Canada