Les ingénieurs peuvent généralement continuer à pratiquer même s'ils sont reconnus coupables de fraude ou de corruption. De plus, aucune loi n'interdit expressément aux firmes de génie-conseil d'obtenir des contrats publics si elles ont commis des méfaits.

C'est l'étonnant constat qu'a fait La Presse en menant des recherches sur le sujet. En décembre 2011, le gouvernement a adopté une loi visant à combattre la fraude dans l'industrie de la construction. Cette loi vise toutefois les entrepreneurs en construction titulaires d'une licence de la Régie du bâtiment du Québec. Les ingénieurs n'y sont pas assujettis.

En vertu de cette loi, les entrepreneurs en construction peuvent voir leur licence suspendue s'ils sont reconnus coupables d'un acte criminel lié à la construction ou d'une fraude fiscale. De plus, ils peuvent se voir interdire de soumissionner à des contrats publics pendant cinq ans. C'est actuellement le cas de deux des entreprises de Tony Accurso.

Les firmes de génie-conseil n'ont aucune restriction du genre, avons-nous constaté. Techniquement, la firme BPR-Triax, accusée de fraude et d'abus de confiance dans le dossier de Mascouche, pourrait donc continuer ses affaires sans trop d'inquiétude, même si elle était reconnue coupable.

Dans le cas des ingénieurs - et non des firmes -, c'est le Code des professions qui s'applique. Or, depuis

20 ans, les rares cas de manque d'intégrité soumis au syndic de l'Ordre des ingénieurs du Québec ont débouché sur de simples réprimandes ou à des amendes de quelques milliers de dollars, a admis la présidente de l'Ordre, Maud Cohen. La pire sanction a été une radiation temporaire de six mois.

«Ça peut paraître peu, effectivement. Je suis favorable à ce que l'Office des professions révise ses règles pour imposer des peines plus sévères», a dit Mme Cohen.

Cinq ingénieurs accusés

Dans l'affaire Mascouche, cinq ingénieurs sont accusés. Deux travaillent pour la firme BPR Triax, soit André De Maisonneuve et Rosaire Fontaine. Ils sont accusés de fraude, de complot et d'abus de confiance, entre autres.

Jean Leroux, président de la firme Leroux, Beaudoin, Hurens et associés, fait lui aussi l'objet de sept chefs d'accusation. La firme, qui compte 200 employés et une cinquantaine de villes comme clients, n'est pas accusée.

Les deux autres ingénieurs accusés sont Pierre Raymond, de Consultants Aecom (anciennement Tecsult), et Serge Duplessis, de Dessau. Ce dernier est en congé de maladie depuis plusieurs mois, a-t-on appris. Quant à M. Raymond, ancien organisateur libéral, il est suspendu avec solde, nous indique le chef du contentieux de la firme, Stephan Trudeau.

«Nous prenons les accusations très au sérieux et vérifions s'il y a des liens avec l'entreprise. Nous faisons enquête pour voir l'étendue de ses relations», a dit M. Trudeau.

Il a été impossible de joindre un représentant de Leroux Beaudoin Hurens hier. Chez BPR-Triax, on préfère ne pas faire de commentaires.

Avant 2009, fait valoir la présidente de l'Ordre, les questions d'intégrité faisaient rarement l'objet de plaintes. Or, depuis, les plaintes ont explosé. En 2007, le syndic a ouvert des enquêtes au sujet de 82 ingénieurs. Cette année, ce nombre atteint 394, cinq fois plus. Le tiers de ces enquêtes vise des cas d'intégrité professionnelle.

Fait à noter, les ingénieurs Fontaine, De Maisonneuve, Duplessis et Leroux ont tous fait des contributions aux partis politiques au cours des dernières années, pour un total de 65 300$ au Parti libéral du Québec et de 19 250$ aux autres partis.