La paisible ville d'Eastman, en Estrie, s'est retrouvée récemment au coeur d'une vaste alerte antiterroriste, a appris La Presse. La menace s'est avérée non fondée, mais la réaction en chaîne déclenchée par l'événement lève le voile sur le climat de suspicion dans lequel travaillent aujourd'hui des policiers à qui l'on demande d'être toujours sur le qui-vive.

Tout a commencé par un appel d'un employé de la ligne de chemin de fer Montreal, Maine and Atlantic Railway, le 3 novembre dernier. Le travailleur croyait avoir aperçu un colis suspect sous un ponceau qu'enjambe la voie ferrée, à Eastman.

Selon nos sources, l'appel a déclenché une sonnette d'alarme à la Sûreté du Québec (SQ), où les services antiterroristes étaient à l'affût en raison de la conjoncture mondiale particulière ces jours-là.

En Allemagne, le mois d'octobre avait été le théâtre d'une série d'attaques incendiaires contre le réseau de trains. Les attentats, revendiqués par un groupe d'extrême gauche opposé à la guerre en Afghanistan, avaient entraîné la fermeture d'une ligne grande vitesse ainsi que de nombreux retards et annulations.

Autre facteur d'inquiétude: le sommet du G20 s'ouvrait le jour même à Cannes, en France, dans un environnement ultrasécurisé par crainte de grabuge et d'attentats. À Montréal, une manifestation anticapitaliste avait lieu en soirée pour dénoncer les plans d'austérité promus par les pays développés.

La SQ ne court alors aucun risque. Le trafic ferroviaire est interrompu. Un périmètre de sécurité est érigé. Des enquêteurs spécialisés sont dépêchés sur les lieux, accompagnés d'artificiers qui neutralisent le colis suspect, un sac à dos.

Les policiers analysent ensuite le contenu et découvrent deux bouteilles de vin. Dans l'une d'elles, un fond de kérosène. Quelques chiffons traînent aussi dans le sac, qui semble avoir été abandonné dans le fossé depuis longtemps.

«Il aurait fallu pas mal d'imagination pour y voir un engin incendiaire», résume un policier bien au fait du dossier.

Mais la machine de l'antiterrorisme s'était déjà mise en branle.

En vertu de protocoles relatifs à la sécurité nationale, la Montreal, Maine and Atlantic Railway doit aussi alerter la GRC lorsqu'un événement menace les voies de communication névralgiques du Canada.

C'est ce qu'elle fait. Le corps policier fédéral se met alors à chercher une piste de son côté.

La Presse a obtenu le rapport d'une équipe d'enquêteurs de la GRC affectés à la Sécurité nationale qui a eu vent de l'événement. Le document, portant la mention «réservé à des fins officielles», explore la piste des groupes radicaux d'extrême gauche qui auraient pu attaquer ce «pont ferroviaire» non nommé.

«Au moment de la rédaction du présent rapport, on ne sait pas encore si les individus responsables de cet attentat étaient motivés par une idéologie. Il est toutefois important de noter que l'engin a été trouvé en même temps que se déroulaient les manifestations contre le G20 à Montréal et le sommet du G20 à Cannes, en France», écrivent les auteurs. Ils rappellent aussi les attentats en Allemagne en soulignant que des gens peuvent essayer de reproduire la même chose ici.

Le rapport précise que des équipes spéciales continuent de suivre de près «les actes de sabotage commis par des groupes de gauche qui ciblaient les secteurs du transport, de l'énergie et des finances».

Les auteurs reconnaissent que ces groupes radicaux disent toujours qu'ils ne ciblent pas la population, mais ils ajoutent un bémol. «Bien que l'intention ne soit pas de blesser des gens, on ne peut exclure la possibilité de décès involontaires, et la sécurité publique doit primer», disent-ils.

Le rapport a largement circulé avant que les conclusions de l'enquête de la SQ ne soient connues. «L'enquête a démontré que l'objet était inoffensif et qu'il n'y avait aucune intention criminelle», a confirmé le lieutenant Guy Lapointe, porte-parole de la SQ, joint par La Presse hier.

Le dossier a été fermé. Jusqu'à la prochaine alerte.

- Avec la collaboration de William Leclerc