La culture et la langue sont des éléments phare de la vie des Inuits. En l'espace d'une cinquantaine d'années, ils sont passés de l'igloo à l'internet. Mais le choc culturel reste immense entre les communautés du Nord et les travailleurs venus du Sud.

Quand les enseignants qui arrivent du Sud descendent de l'avion, quelques jours avant la rentrée scolaire de septembre, ils ne connaissent généralement rien de la culture ou des traditions inuites.

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Dans le meilleur des cas, ils baragouinent «bonjour» ou «merci» en inuktitut.

Le premier choc se vit en classe. Les élèves arrivent constamment en retard. Ils sortent au milieu d'un cours sans permission. Ils parlent en inuktitut entre eux. Les classes sont dissipées, désorganisées. Les élèves traînent avec eux des problèmes familiaux complexes. L'enseignant veut imposer sa façon de faire, celle du Sud, les enfants se braquent.

Désemparés, certains enseignants refont leurs bagages après quelques mois. D'autres terminent l'année scolaire et retournent dans le Sud. Quelques-uns, plus rares, sont séduits par la région et s'y installent quelques années.

Le taux de roulement est élevé. À l'école Iguarsivik, qui regroupe les élèves de la 4e année à la 5e secondaire, la moitié des enseignants venus du Sud sont nouveaux. Certains élèves ont vu défiler cinq enseignants dans une même classe depuis septembre. Rien pour favoriser l'apprentissage.

«Les gens ne se livrent pas facilement. Ils savent très bien que tous les Blancs ici sont de passage. Qu'on reste un an, cinq ans, dix ans, on est de passage», lance d'ailleurs Richard Therrien, nouveau directeur de l'école.

M. Therrien a travaillé six ans comme directeur d'école dans un autre village du Nunavik avant de s'installer à Puvirnituq à la fin de l'été. Après toutes ces années, il a appris à connaître certaines subtilités de la culture inuite.

Mais il est revenu à la case départ. Il doit apprendre à connaître ses nouveaux élèves et, surtout, leurs parents. Bien souvent, ces derniers ne parlent ni anglais ni français. «Ce serait plus facile si je parlais inuktitut», lance-t-il.

«C'est très différent», confirme Rolland Glaude, qui enseigne le français et les sciences humaines au secondaire.

L'enseignant est arrivé à la mi-octobre, alors que l'année scolaire était déjà entamée. Il n'avait pas trop d'attentes, il espérait surtout laisser une empreinte chez les enfants. «Comme on dit, je fais de mon mieux, mais je ne sais pas vraiment si je les aide. Moi, c'est vraiment ça que je veux, les aider, les faire réussir.»

La première année d'enseignement dans le Nord est toujours difficile, peu importe pour qui, soutient Paulusi Angiyou. Natif de Puvirnituq, il enseigne l'inuktitut aux adolescents du secondaire.

«Ça n'a rien à voir avec le fait de parler inuktitut ou français ou anglais ou espagnol. C'est la confiance qu'on affiche.» Bien souvent, les nouveaux enseignants qui arrivent du Sud en manquent, croit-il.

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Les défis vécus dans le Grand Nord ne diffèrent pas beaucoup de ce qui est vécu par les immigrants ou dans les quartiers défavorisés. Là aussi, le taux de décrochage est élevé.

Mais au Nunavik, les villages sont isolés. Il manque cruellement de ressources, surtout dans le domaine social. Les communautés s'entraident beaucoup, mais sont également refermées sur elles-mêmes.

Beaucoup d'enfants sont victimes de sévices sexuels. Plusieurs voient leurs parents se battre. Et personne ne peut ignorer les bouteilles d'alcool vides qui traînent sur le chemin de l'école. Cette violence rattrape les élèves. Ils sont eux-mêmes de petits volcans qui menacent d'éclater.

«J'en ai eu, des crises», souligne Marie-Josée Trudel, qui enseigne en 6e année. «Je me suis fait mordre, menacer avec un couteau, pousser dans les pupitres, je me suis fait frapper dans le ventre. [...] C'est sûr que c'est troublant, mais il faut essayer de les comprendre.»

Quand la crise éclate, les enseignants font appel à l'un des trois techniciens en comportement qui travaillent dans l'école Iguarsivik. Ce sont des Inuits.

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En ce début du mois de février, la matinée est mouvementée. Une élève de 4e année, le visage buté, refuse de coopérer. Elle lance son crayon, puis son bâton de colle à travers la classe.

Quelques instants plus tard, Harry Quara entre dans la classe. Calmement, il parle en inuktitut à la jeune élève.

«Au début, je trouvais mon nouveau rôle difficile. Maintenant, ça va mieux. Les jeunes me connaissent, ils me voient dans le village, ils ont confiance», raconte M. Quara qui, comme plusieurs, a été engagé sans détenir un diplôme d'études secondaires.

Au début de l'année, Louise Pellerin, enseignante de 4e année, a demandé à ses élèves ce qu'ils voulaient faire plus tard. Plusieurs ont haussé les épaules, incapables de répondre.

Après les Fêtes, elle a posé la question de nouveau. Il y a du progrès. Certains disent vouloir travailler à la Coop, magasin du village, ou chez Air Inuit.

Directrice adjointe de l'école, Maata Putugu rêve de plus encore. «J'aimerais voir plus de jeunes obtenir leur diplôme. J'aimerais voir qu'eux aussi sont capables. Ils pensent qu'ils ne le sont pas. Que les postes de médecins ou d'infirmières à l'hôpital, ce n'est pas pour eux. Ils pensent qu'ils peuvent juste travailler à la Coop, chez Air Inuit, à la garderie. J'aimerais qu'ils sachent qu'ils ont beaucoup de potentiel.»