Des agneaux morts, symboles du désespoir des producteurs ovins du Québec, ont été trouvés vendredi devant des bureaux du ministère de l'Agriculture (MAPAQ) en Abitibi-Témiscamingue. «Ce qu'on craint tous, c'est qu'à un moment donné, ce ne sera pas un agneau qu'il va y avoir au bout de la corde, a dit à La Presse Pierre Lavallée, producteur d'agneaux de Saint-Bruno-de-Guigues, au Témiscamingue. Ça s'en vient, parce qu'on est vraiment au bout du désespoir.»

La Sûreté du Québec (SQ) n'a pas déterminé qui était l'auteur de ce lugubre coup d'éclat. «Un ou des individus auraient déposé des carcasses d'animaux morts dans le stationnement du bureau du MAPAQ à Ville-Marie, a indiqué le sergent Claude Denis, de la SQ. Un dossier de méfait a été ouvert, l'enquête se poursuit.»

Des affiches laissées sur place dénoncent l'Union des producteurs agricoles (UPA), le MAPAQ et Pierre Corbeil, ministre de l'Agriculture et député d'Abitibi-Est, qui écoutent mais ne font «rien pour les producteurs ovins».

«Le ministre dit que ce sont des gestes anonymes et qu'il les déplore, a indiqué Pascale Dumont-Bédard, son attachée de presse. Il ne fera pas d'autres commentaires.»

Perte de 100 fermes d'agneaux

Le Québec a perdu 100 fermes d'agneaux entre 2008 et juin dernier. La crise est particulièrement importante en Abitibi-Témiscamingue, où 60,9% des entreprises ovines étaient dans une situation financière jugée critique le 30 septembre dernier, selon un état de situation du MAPAQ que La Presse a obtenu.

«Les secteurs ovin, porcin et bovin sont effectivement trois secteurs en difficulté depuis quelques années», a indiqué Patrice Juneau, porte-parole de l'Union des producteurs agricoles.

«Ça va mal dans l'agneau, assurément, a confirmé Michel Morisset, professeur au Département d'économie agroalimentaire de l'Université Laval. C'est à coup de subventions qu'on a décidé de réintroduire la production d'agneaux au Québec, au cours des années 80 et 90. Sauf quelques exceptions, on n'a jamais été des producteurs performants. Et c'est un secteur où la concurrence est très vive, avec l'agneau d'Australie et de Nouvelle-Zélande, qu'on importe en grande quantité.»

Les difficultés se sont aggravées depuis que le programme d'assurance stabilisation des revenus agricoles (ASRA) est basé sur les kilogrammes d'agneaux produits, plutôt que sur les brebis que possède un agriculteur. «Avant, les producteurs qui produisaient peu ou pas d'agneaux par brebis avaient une compensation financière», a expliqué M. Morisset. Ce n'est plus le cas. «Ça change complètement la donne», a-t-il observé.

Pas tant de pistes de solution

«Les gens sont essoufflés, il y a bien des agriculteurs qui ont carrément abandonné», a dit M. Lavallée, représentant de l'Union paysanne en Abitibi-Témiscamingue. Lui-même a un cheptel de 200 brebis, qu'il est en train de liquider. «D'ici à décembre, je n'en aurai plus», a-t-il indiqué.

Ce n'est pas l'Union paysanne qui a déposé les cadavres d'agneaux devant les bureaux du MAPAQ, a précisé M. Lavallée. «C'est à titre personnel que des gens ont fait ça, a-t-il assuré. Mais ça ne me surprend pas, parce qu'on a épuisé les façons démocratiques de se faire entendre.»

«Les pistes de solution, dans un certain nombre de cas, on n'en voit pas tellement, a analysé M. Morisset. Ça passe par une professionnalisation de cette production, mais on part de loin et la concurrence est très, très vive.»