Le lancement des chantiers d'Hydro-Québec et du Plan Nord a amplifié les problèmes de drogue chez les jeunes autochtones de la Basse-Côte-Nord, affirment des Innus de La Romaine dans une lettre ouverte adressée à François Bonnardel, député de l'Action démocratique du Québec.

Il y a deux semaines, le premier ministre Charest a accusé M. Bonnardel de répandre des préjugés racistes parce qu'il avait évoqué les problèmes de toxicomanie dans les communautés innues à l'Assemblée nationale.

M. Bonnardel a dénoncé le fait que des chèques de 3000 $ ont été versés à chaque adulte de la communauté de Mingan, à la suite d'une entente conclue avec Hydro-Québec pour la construction de centrales sur la rivière Romaine.

«Est-ce que le ministre des Ressources naturelles appuie cette pratique d'Hydro-Québec, quand on sait qu'à Mingan, 40% de la population ont des problèmes de toxicomanie et d'alcoolisme et 30% ont des problèmes de jeu compulsif?», a demandé le député de Shefford.

Clément Gignac, ministre des Ressources naturelles, l'a alors accusé de «vouloir casser du sucre sur le dos des communautés autochtones». M. Charest l'a accusé «de peinturer les Premières Nations comme étant des alcooliques, puis des toxicomanes».

Loin de se sentir blessés par les propos de M. Bonnardel, des Innus de La Romaine - une autre communauté qui a une entente semblable à celle de Mingan - félicitent le député «pour avoir courageusement dit tout haut ce que tout le monde savait tout bas».

Un des signataires, George Bellefleur, affirme avoir recueilli les signatures de plusieurs femmes membres de cette communauté située à quelque 150 kilomètres à l'est de Min­gan. Il a faxé la lettre à M. Bon­nardel et en a envoyé une copie à La Presse. Il compte continuer à recueillir des signatures pendant toute la semaine.

«Nous vous appuyons d'avoir sonné l'alarme au sujet des problèmes sociaux très graves que vivent les Innus de la Basse-Côte-Nord, indique la lettre. Quoique des problèmes existaient, l'arrivée des chantiers d'Hydro-Québec et du Plan Nord les a amplifiés à des proportions hors contrôle, sachant qu'une bonne partie des drogues fortes qui circulent dans notre région découlent du chantier de la Romaine.

«C'est à notre tour de sonner l'alarme. Nous disons à tous les Québécois: méfiez-vous du Plan Nord, car tous les Québécois se font avoir.»

Les signataires se disent d'accord avec le rapport de Jacques Duchesneau, ancien directeur de l'Unité anticollusion, qui s'est inquiété de la présence du crime organisé dans certains grands chantiers. Ils demandent à la juge France Charbonneau de se pencher sur Hydro-Québec dans le cadre de sa commission d'enquête.

Ils veulent notamment que Mme Charbonneau enquête sur les liens d'Hydro-Québec avec «les firmes de génie-conseil, les conseils de bande, les contrats de gré à gré et les prête-noms autochtones qui sont utilisés pour l'obtention des dits contrats de gré à gré».

Au début du mois, La Presse a révélé qu'une société forestière a réussi à décrocher le contrat de déboisement de la vallée de la Romaine en s'associant avec des Innus. Hydro-Québec a accordé ce contrat sans appel d'offres.

La société d'État refuse de divulguer les ententes qu'elle a conclues avec quelques conseils de bande pour le développement hydroélectrique de la Romaine. Une situation que dénonce M. Bonnardel.

Tentative de corruption

George Bellefleur, qui fait circuler la lettre ouverte, a dit à La Presse hier qu'une entreprise de travaux publics avait sondé des membres de La Romaine, il y a quelques années, pour décrocher elle aussi un contrat de gré à gré pour le prolongement de la route 138.

«L'entreprise offrait 100 000 $ par année pendant cinq ans pour que ces membres de la communauté s'associent à son projet comme de simples prête-noms, a-t-il dit. Son offre a été rejetée.»

Actuellement, la route 138 s'arrête à Natashquan. Le gouvernement québécois envisage son prolongement jusqu'à La Romaine et plus à l'est encore, notamment jusqu'à Harrington Harbour, où se jette la rivière du Petit Mécatina. Hydro-Québec projette de construire des centrales hydroélectriques sur cette rivière.

Ce n'est pas la première fois que les chantiers hydroélectriques sont tenus responsables de l'aggravation des problèmes de drogue. Le printemps dernier, le président de la CSN-Construction, Aldo Miguel Paolinelli, a déclaré à ruefrontenac.com que les vendeurs de drogue «imposent leur loi et circulent librement sur les chantiers [de la Romaine]».

Toujours le printemps dernier, le service de psychiatrie du Centre de santé de Sept-Îles s'est dit plus débordé que jamais en raison des nombreuses psychoses toxiques causées par les drogues de synthèse. Selon nos sources, plusieurs cas concernent des Innus.