Un groupe d'anciens cadets demande compensation à l'armée canadienne pour les séquelles psychologiques causées par la pire tragédie jamais survenue sur la base militaire de Valcartier, il y a plus de 35 ans. Journaliste à La Presse, Hugo Fontaine publie aujourd'hui un livre sur cette affaire, dont plusieurs survivants commencent tout juste à mesurer l'ampleur.

Un camp d'été avait tourné au drame le 30 juillet 1974, à Valcartier, quand une grenade avait explosé dans un bâtiment où se trouvaient 135 cadets de 14 et 15 ans. Six d'entre eux sont morts et une soixantaine ont été blessés dans ce qui se voulait une démonstration sur la dangerosité des explosifs. Les survivants n'ont pas oublié la leçon.

Passionné d'histoire militaire, Hugo Fontaine ignorait tout de ce fait divers oublié depuis longtemps jusqu'à ce qu'il reçoive, en 2007, le courriel d'un survivant qui réclamait de l'aide. Après avoir mené des recherches en vue d'un reportage, le journaliste a finalement, quatre ans plus tard, accouché d'un livre: La grenade verte, Valcartier 1974: les oubliés de la compagnie D.

Le récit trace, en parallèle, l'histoire de ces jeunes cadets qui s'en allaient passer l'été 1974 à la base militaire de Valcartier, celle des adultes traumatisés que plusieurs sont devenus et celle de la petite grenade qui a bouleversé leur vie. L'auteur explique comment l'explosif s'est retrouvé entre les mains d'un groupe d'adolescents, et il se penche sur les conséquences de l'accident pour les survivants et la famille des disparus.

Plusieurs estiment que l'armée, qui a pourtant été blâmée pour sa négligence dans la gestion de ses munitions, les a abandonnés. «Ils sont tombés dans un no man's land juridique», explique Hugo Fontaine. Les assurances couvraient les activités des cadets, mais pas lorsqu'ils participaient aux camps dans les bases militaires, où la Défense nationale était jugée responsable.

Pour recevoir des indemnités, les cadets auraient dû intenter des poursuites dans les trois années suivant le drame. Or, malgré les symptômes, ils ignoraient à l'époque qu'ils étaient malades. Plusieurs n'ont découvert que récemment qu'ils souffraient de stress post-traumatique. «Ils ne pensaient pas qu'ils étaient malades, ils pensaient qu'ils étaient faibles. C'est aujourd'hui qu'ils s'en rendent compte», explique le journaliste.

Enquête militaire traumatisante

Plusieurs anciens cadets restent également traumatisés par la commission d'enquête militaire qui a eu lieu peu après l'incident. «La commission devait essayer de déterminer si un cadet était responsable. Il ne fallait pas exclure cette possibilité. Mais ce que les enquêteurs semblent avoir oublié, à la lumière des témoignages, c'est qu'ils interrogeaient des enfants. Je ne pense pas que l'objectif de la commission était de traumatiser les cadets, mais plusieurs se sont sentis montrés du doigt. Ils me parlent encore aujourd'hui de cet interrogatoire», indique Hugo Fontaine.

Le journaliste le reconnaît, il n'a pas épargné les détails à ses lecteurs. Un choix réfléchi.

«Je trouvais important de les mentionner parce que c'est ce que ces cadets de 14 et 15 ans ont vu quand ils ont quitté la baraque: l'état des corps, ce qu'il y avait sur les murs, le sang. C'est ce qu'ils ont vu et ce qu'ils ont encore à l'esprit aujourd'hui.»

Le livre, qui paraît aujourd'hui aux Éditions La Presse, se base sur une trentaine d'entrevues ainsi que sur des rapports militaires obtenus grâce à la Loi sur l'accès à l'information.