Pendant trois ans, Rachel Leblanc et André Millette se sont battus pour avoir le droit d'exploiter un petit commerce agroalimentaire en région. Et ils ne sont pas les seuls. Près de la moitié des projets de ce type sont rejetés.

«Nos campagnes se vident, mais quand on a un projet de revitalisation, personne ne nous appuie», constate Rachel Leblanc, copropriétaire du Boucanier de Saint-Barnabé-Sud. «Il n'y a que le pape que je n'ai pas appelé pour qu'il nous aide, c'est tout!», ajoute-t-elle en riant.

Pendant trois ans, Mme Leblanc et André Millette, son conjoint, ont dû se battre. Simplement pour avoir l'autorisation d'ouvrir un petit commerce de poulet et de porc fumés de manière artisanale, dans leur maison centenaire, située à une dizaine de kilomètres de Saint-Hyacinthe.

Une première demande déposée à la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ) a été refusée en 2006. Même chose pour la deuxième demande, en 2007, même si le couple a fait appel à un avocat et à un agronome pour mieux présenter son projet.

Deux juges du Tribunal administratif du Québec leur ont finalement donné raison en 2008. La Commission n'a pas motivé «sa décision en termes clairs», ont fait valoir les juges. «Elle n'explique pas en quoi ce commerce artisanal ci prendrait de l'expansion ou perturberait autrement l'agriculture», ont-ils ajouté, avant d'autoriser la création du commerce.

Un soulagement? «Quand on a eu la réponse, on était brûlés», se rappelle Mme Leblanc. Il a fallu un an avant l'ouverture du Boucanier, dont le slogan est «Sur les traces d'un trésor de saveurs». Sont vendus sur place, dans la maison meublée d'antiquités, de savoureux poulets et porcs fumés naturellement au bois d'érable, en plus de tourtières, pains fesse, confitures, marinades et tartes, tous faits sur place.

«On parle de pacte rural, mais quand on se promène en campagne, on voit de grosses bâtisses en tôle, souligne M. Millette. Il n'y a presque plus une vache dans les champs.» Les grandes sociétés agroalimentaires sont soutenues, mais «pas nécessairement le petit, l'artisan, celui qui n'exportera pas, ajoute-t-il. On veut juste faire ça pour en vivre, simplement».

Seuls 68% des projets autorisés

Partout au Québec, «près de 68% des projets de type récréotouristique en zone agricole ont été autorisés par la Commission, entre 2000 et 2008», indique Marlène Thiboutot, porte-parole de la CPTAQ. Mais ce taux d'acceptation diminue à 53% quand les demandeurs n'ont pas de ferme. Et les refus sont particulièrement élevés en Estrie (50%) et en Montérégie (44%).

«Quand c'est un producteur qui met en marché ses produits - par exemple un producteur de fraises qui fait de la confiture et vend des petits pots -, il n'a pas à demander d'autorisation à la Commission», dit Mme Thiboutot. Au départ, les propriétaires du Boucanier ne prévoyaient pas avoir d'élevage.

Or, pour avoir le droit de tenir une table champêtre (ils offrent des soupers gastronomiques pour six à huit personnes), Mme Leblanc et M. Millette ont dû devenir producteurs agricoles. Ils élèvent 100 poulets par an, en plus d'avoir quelques poules pondeuses de race chantecler.

Promouvoir notre passé culinaire

M. Millette a conçu lui-même sa méthode de fumage, fort de 40 ans d'expérience comme cuisinier, professeur de cuisine, puis responsable de la recherche et développement dans une entreprise de transformation alimentaire. «Le poulet prend de six à huit heures à cuire, indique-t-il. Dépendamment du froid, de la direction du vent, de la pression atmosphérique... Il n'y a pas une bûche pareille. C'est vraiment à l'instinct.»

Le fumoir est derrière la maison, à côté des framboisiers, pruniers, pommiers qui donnent les fruits dont sont faites tartes et confitures. Mme Leblanc tricote des torchons et coud des tabliers, aussi en vente au Boucanier. Elle emballe la viande dans du papier brun, attaché avec de la corde, «comme dans le temps», souligne-t-elle. «On a du plaisir et on a le vent dans les voiles», dit M. Millette.

Mais les Québécois s'intéressent-ils à leur passé culinaire? «On ne parle que de cuisine étrangère dans les médias, déplore M. Millette. On dit qu'il n'y a pas de culture culinaire au Québec. Il y a pourtant autre chose que des repas de cabane à sucre ou de la poutine au foie gras.» Parole de boucanier.

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