Un attentat (ou plusieurs simultanés) organisé par une cellule dormante locale: ce modèle, répété depuis le début des années 90, n'a plus le monopole de la terreur.

«Phénomène nouveau: la menace est plus éclatée, ce qui n'empêche pas l'existence de microstructures», note l'ex-juge antiterroriste français Jean-Louis Bruguière à propos du terrorisme inspiré par l'idéologie d'Al-Qaïda.

Il explique que la «cellule de Montréal», qu'il a débusquée au Canada à la fin des années 90, était typique des structures Al-Qaïda, qui se développent «de façon opportuniste et métastasique». «Ce ne sont pas des groupes constitués selon une architecture pyramidale, dont on n'a qu'à tirer des ficelles pour faire avancer l'enquête. Ce sont des cellules qui s'entrecroisent mais qui ont leur propre existence et, en même temps, qui ont des liens entre elles à travers certains individus.»

Les «18 de Toronto» étaient proches de ce système.

Aujourd'hui, le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) dit affronter un ennemi à plusieurs têtes.

D'abord, les citoyens canadiens ou résidents permanents qui reçoivent une formation terroriste à l'étranger, puis qui reviennent au Canada ou se rendent dans d'autres pays pour y perpétrer des attentats, explique Josie Abou-Eid, porte-parole du SCRS.

Dans le passé, ils venaient de Bosnie ou d'Afghanistan. Aujourd'hui, l'école de la terreur passe par le Pakistan, la Somalie et le Yémen. La plupart des complots dirigés contre la Grande-Bretagne ou les États-Unis, dans les dernières années, ont été planifiés dans ces pays.

Ensuite, il y a la menace 2.0, avec la prolifération des sites et des forums internet (certains hébergés au Canada) «utilisés pour planifier, organiser et mener des activités terroristes ainsi que pour recruter des participants», remarque le SCRS. Le site le plus actif est le magazine web Inspire du prédicateur américano-yéménite Anouar el-Aoulaki.

Enfin, il y a les «terroristes intérieurs» (homegrown terrorism) et, surtout, les «loups solitaires». Nouvelle hantise des services de lutte contre le terrorisme, ils n'ont aucun contact avec des groupes connus, préparent dans le plus grand secret leur propre complot dont ils sont à la fois le chef et l'exécutant, puis surgissent de nulle part pour frapper leur cible sans jamais avoir été repérés.

Semer la terreur par des complots de modeste envergure, notamment grâce à des poisons comme le cyanure ou la ricine, est un modus operandi préconisé désormais par Al-Qaïda auprès des néo-jihadistes occidentaux pour des raisons financières et tactiques.

Récemment, le président Obama a reconnu que les «loups solitaires» sont plus inquiétants que l'hypothèse d'un nouvel attentat «massif et coordonné».

Les exemples tragiques ne manquent pas, toutes idéologies confondues: de Nidal Maïk Hassan, qui a tué 13 personnes dans une base militaire américaine en 2009, à Anders Breivik, islamophobe auteur d'un carnage en Norvège cet été, sans oublier Timothy McVeigh, à Oklahoma City.

Au Canada, les cas sont plus rares. On pourrait classer dans cette catégorie Omar Bulphred, auteur d'attaques contre des cibles juives à Montréal, bien qu'il ait agi avec un complice.

Jihad 2.0

L'émergence du loup solitaire est indissociable de la radicalisation d'individus nés en Occident. Autrefois, ce processus, dernier stade avant la jihadisation violente, s'opérait presque exclusivement dans les mosquées, par exemple à Londres, Montréal, et Hambourg, au contact de personnages charismatiques et de «facilitateurs».

«Les lieux de culte ont inévitablement joué un rôle important dans leur ralliement au jihad salafiste mondial, puisqu'il s'agit d'un mouvement revitaliste musulman», note Marc Sageman dans son livre Le vrai visage des terroristes (Denoël, 2005). Il y étudie le parcours de vie de près de 180 individus qui ont choisi le jihad sous sa forme violente.

Maintenant, l'apprenti terroriste se radicalise seul devant son clavier.

L'autre lieu de radicalisation - et le Canada n'y échappe pas - serait la prison, où par exemple les terroristes et extrémistes deviennent des icônes et font du prosélytisme, parfois «sous la pression», selon un document classé «secret» du Centre intégré d'évaluation des menaces, que La Presse a obtenu en vertu de la Loi sur l'accès à l'information. «Les conditions carcérales peuvent rendre certains détenus vulnérables à la persuasion et aux influences négatives», dit ce document, qui évoque les «efforts d'endoctrinement» menés par des «islamistes» à «l'autorité charismatique».

On y indique que le «nombre de détenus musulmans a augmenté de 86% entre 2002 et 2010». Ce chiffre ne tient pas compte des conversions.

Ces ex-détenus et autres activistes en liberté, «brûlés» publiquement, peuvent-ils être toujours dangereux?

Oui, croient les spécialistes du terrorisme consultés par La Presse. Au minimum, ils pourront servir de source d'inspiration ou d'intermédiaire pour de nouvelles recrues.

Enfin, le juge Bruguière évoque un dangereux rapprochement entre certains groupes terroristes et le crime organisé, pour des raisons d'affaires plutôt qu'idéologiques. C'est ainsi qu'Al-Qaïda au Maghreb islamique protégerait, moyennant financement, la nouvelle route aérienne des cartels de la drogue d'Amérique du Sud, qui passe par l'Afrique de l'Ouest, en particulier par le Sahel.

Même situation dans les Balkans, où des trafics d'armes alimentent à la fois la criminalité organisée en Europe et les réseaux islamistes radicaux.