La société Pétrolia a «voulu bâillonner la liberté de presse» et «faire taire l'opinion contraire à la sienne» en poursuivant le journal Le Soleil et l'écologiste Ugo Lapointe, estime la Cour supérieure, dans un jugement rendu hier sur la base des nouvelles dispositions interdisant les poursuites-bâillons.

Pétrolia, qui détient une grande partie des permis d'exploration de pétrole et de gaz au Québec, a intenté une poursuite en diffamation à la suite de la parution d'un article dans Le Soleil le 3 décembre 2010.

Cet article portait sur le fait que la loi québécoise avait permis à Pétrolia et une autre entreprise, Junex, d'extraire du pétrole et du gaz sans payer de redevances, car les puits étaient encore à une phase expérimentale et n'étaient pas encore couverts par des baux d'exploitation.

Appelé à commenter ce fait, Ugo Lapointe, porte-parole de la Coalition pour que le Québec ait meilleure mine, avait déclaré ceci: «Ce sont des ressources non renouvelables, qui appartiennent à tous les Québécois. C'est du vol à petite échelle, mais qui ouvre la porte à du vol à plus grande échelle.»

La poursuite de Pétrolia reposait sur l'emploi du mot «vol».

Poursuites-bâillons

M. Lapointe et Le Soleil ont invoqué les nouvelles dispositions du Code de procédure civile qui visent à empêcher les poursuites-bâillons, dont le but est de faire taire des opinions et de nuire au débat public.

La Cour supérieure leur a donné raison sur toute la ligne. Citant de nombreux passages tirés du rapport du Vérificateur général et des médias, la juge Claudette Tessier Couture a montré la vigueur et la pertinence du débat actuel sur les ressources naturelles.

La juge a même cité une entrevue accordée à La Presse par le président de l'Association pétrolière et gazière du Québec, Lucien Bouchard, dans laquelle il «reconnaît que le régime de redevances québécois n'est plus défendable» et qu'il «doit être revu à l'avantage du Québec».

La juge a ensuite noté que le commentaire de M. Lapointe est «surtout... une critique de la législation applicable».

«Le mot vol utilisé dans le texte est une image utilisée dans le langage populaire, certes une image qui frappe», a dit la juge. Mais il «a été utilisé au sens figuré, en fonction du contexte et du débat public ayant cours».

«Peut-être est-il désolant et contrariant que le mot vol ait été employé, mais dans le cadre et le contexte où il a été utilisé, peut-il avoir porté atteinte à la réputation de Pétrolia? Le Tribunal en doute.»

D'autant plus que Pétrolia avait annoncé que la somme réclamée, 300 000$ allait être versée à un organisme de charité.

S'il n'y a pas réellement eu atteinte à la réputation, quel pouvait être alors le but de la poursuite en diffamation?

«Pétrolia ne cherche pas une compensation financière en raison de la diffamation, mais plutôt cherche à faire taire l'opinion contraire à la sienne, a conclu la juge. C'est exactement ce que le législateur a voulu arrêter.»

Dans le cadre d'un «débat sur des enjeux d'intérêt public... il est important que des Ugo Lapointe se lèvent et s'expriment en des termes que le citoyen ordinaire peut saisir et que les médias en fassent état.»

«Par la procédure entreprise, Pétrolia a voulu faire taire la Coalition, bâillonner la liberté de presse et... contenir le journal Le Soleil», a estimé la juge.

Quant à Pétrolia, elle a «utilisé de façon abusive le système judiciaire».

Ni Pétrolia ni Ugo Lapointe n'ont souhaité commenter le jugement hier.