Des 396 agents de la Gendarmerie royale du Canada suspendus pour faute grave depuis 2000, seulement 49 ont été privés de salaire durant l'enquête disciplinaire, selon les documents obtenus par La Presse en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

Le code de déontologie du corps policier précise que le retrait du salaire se fait seulement dans des «circonstances extrêmes», soit «dans les cas où les allégations d'inconduite sont si graves qu'elles nécessitent une intervention plus importante qu'une suspension à elle seule».

Priver un agent de son salaire peut toutefois être un exercice long et difficile. Un policier a ainsi été suspendu avec salaire en 2003 après avoir été accusé d'avoir eu des relations sexuelles avec un mineur alors qu'il était en service. On ne lui a coupé les vivres qu'en 2009, soit six ans plus tard. Il a finalement été congédié quelques mois plus tard.

Dans un autre dossier, la GRC a dû demander quatre fois que l'un de ses agents, suspendu en 2007 pour vol, possession de pornographie juvénile et possession d'armes prohibées, soit privé de son salaire. Il a fallu attendre deux ans, et ce, même si le policier en était à sa deuxième suspension en trois ans.

Le comité d'arbitrage de la GRC a refusé deux fois de retirer le salaire d'un agent suspendu depuis 2008 pour un délit de fuite alors qu'il conduisait avec les facultés affaiblies. On lui reproche également de ne pas avoir porté assistance à une personne blessée dans l'accident.

Ce comité de discipline met en moyenne 369 jours pour rendre une décision. Mais cela peut aussi prendre des années. Un policier, dont la faute n'a pas été précisée, a par exemple reçu sa sanction (une suspension d'une journée sans solde) au bout de... cinq ans et demi.

À l'heure actuelle, 62 membres de la GRC sont suspendus et attendent les conclusions de leur enquête disciplinaire. La majorité d'entre eux ont été suspendus en 2009 ou en 2010, mais les dossiers obtenus par La Presse indiquent que 2 d'entre eux attendent depuis plus de 10 ans.

Dans un dossier lourdement caviardé, la GRC dit avoir suspendu l'un de ses membres en 1998 pour agression sexuelle, attouchements sur un enfant et participation à une vente de stupéfiants. Le policier a réintégré son poste en 1999, pour être de nouveau suspendu l'année suivante, sans salaire cette fois. De retour au travail en 2007, il a été suspendu pour la troisième fois, avec salaire, en 2008.

La retraite pour agents suspendus

Depuis 10 ans, 79 policiers sous le coup d'une suspension ont choisi de prendre leur retraite avant la fin de l'enquête dont ils étaient l'objet, ce qui, souvent, met fin au processus disciplinaire. Il s'agit d'une pratique courante dans les corps policiers, souligne le professeur Pierre Durand, de l'École des relations industrielles de l'Université de Montréal, qui étudie la détresse psychologique chez les policiers depuis 2008.

Il souligne que les agents de la GRC peuvent prendre leur retraite après 25 ans de service. Lorsqu'ils écopent d'une suspension, plusieurs préfèrent partir plutôt que de risquer le congédiement. Parfois, c'est l'employeur qui offre cette porte de sortie. «Si le policier a 23 ans de service, on va faire un marché. Plutôt que d'aller en cour et de dépenser des milliers de dollars, on offre une retraite honorable», expose M. Durand.

En 2003, un policier surpris à se masturber et à prendre des photos de garçons et d'hommes dans les toilettes publiques a pris sa retraite en 2004, indique son dossier.

La GRC précise qu'elle ne met pas fin à toutes les enquêtes quand les agents prennent leur retraite. «Dans les cas les plus graves, on veut avoir dans nos dossiers l'issue des enquêtes, au cas où le membre déciderait de revenir quelques années plus tard ou s'il pose sa candidature dans un autre corps policier», indique Karyne Desjardins, directrice par intérim des normes professionnelles et des examens externes de la GRC.

Seulement le quart des policiers suspendus qui ont vu leur enquête aboutir, ont été congédiés ou ont reçu l'ordre de démissionner, une mesure disciplinaire prévue au code de déontologie. Enfin, la moitié des agents suspendus ont réintégré leur poste.

Une condamnation criminelle ne signifie pas automatiquement le congédiement du policier, dit d'ailleurs Joseph Hincke, cadre supérieur responsable de l'intégrité professionnelle. Il revient au comité d'arbitrage de décider si le geste commis empêche l'agent de remplir son rôle.