Du Chili, du Pérou ou des États-Unis. C'est de là que viennent les petits fruits surgelés qu'on achète au supermarché, alors qu'ils poussent abondamment au Québec. «Ça n'a pas d'allure!», a dit à La Presse Nathalie Bruneau, de la bleuetière Point du jour de Lavaltrie.

En été, la productrice a beaucoup de petits fruits frais... qu'elle se résignait à vendre à prix ridicule. «Les fruits américains rentrent à pleine porte à cette période, alors les prix baissent, a-t-elle souligné. Tant qu'à les laisser dans les champs, on s'est dit qu'il faudrait en faire profiter les gens à l'année.»

Solution: la bleuetière Point du jour a lancé la marque de fruits surgelés «Fruit du jour!» avec deux autres producteurs de Lanaudière. Des boîtes de 600 g de bleuets, fraises et framboises d'ici sont vendues dans 28 épiceries de la région. D'autres points de vente vont s'ajouter après la prochaine récolte. Prix: environ 5,50$ l'unité. «Pour l'instant, on ne fait pas beaucoup d'argent», a dit Mme Bruneau.

La concurrence fait mal aussi à Jocelyn Fournier, producteur d'agneaux de Mont-Joli, dans le Bas-Saint-Laurent, qui songe à vendre son troupeau tant les revenus sont bas. «Je ne parviens pas à comprendre que la population du Québec ne se manifeste pas en faveur du maintien de son agriculture et du bien-être de ses producteurs agricoles», a-t-il écrit dans Producteur Plus, un magazine agricole. «Ignorante ou indifférente», la population achète de l'agneau de Nouvelle-Zélande alors que l'agriculture en région périphérique agonise.

Trop d'intermédiaires?

«Bien du monde fait de l'argent sur le dos des agriculteurs, a dit Maria Labrecque Duchesneau, directrice générale de l'organisme Au coeur des familles agricoles, de Marieville. Il y a énormément d'intermédiaires entre le producteur et votre assiette.»

À l'épicerie, Mme Labrecque Duchesneau a payé 8,17$ une courge spaghetti, en décembre. «Je connais la productrice, qui m'a dit qu'elle l'avait vendue 1$! a dénoncé l'intervenante. De sa production au magasin, il y a quatre intermédiaires.»

Les marges de profit des propriétaires de supermarchés sont pourtant «très minces», selon Florent Gravel, président-directeur général de l'Association des détaillants en alimentation du Québec. Mais l'espace accordé aux produits locaux sur les rayons pourrait être plus grand, a-t-il reconnu.

À condition que le gouvernement intervienne auprès des distributeurs Metro, IGA-Sobeys et Loblaw-Provigo, pour les obliger à laisser une marge de manoeuvre aux marchands-propriétaires.

Québec doit-il forcer l'approvisionnement local?

À l'heure actuelle, si un épicier achète plus de 10% de ses produits localement, plutôt que par l'entremise de la bannière, il perd sa ristourne. Un gros supermarché qui achète pour 4 millions de fruits et légumes par an peut avoir une pénalité de 40 000$, s'il s'approvisionne trop souvent dans les champs des alentours.

Christian Lacasse, président de l'Union des producteurs agricoles, souhaite que Québec exige un pourcentage minimal d'aliments d'ici dans les épiceries et dans son réseau institutionnel (cafétérias d'écoles, de ministères, d'hôpitaux, etc.). «On a beaucoup d'attentes de ce côté-là dans la future politique agricole», a-t-il souligné.

Quant à Maria Labrecque Duchesneau, elle prône l'achat dans les marchés publics ou directement à la ferme. «Allez dans les rangs et profitez-en pour remercier les producteurs, a-t-elle suggéré. Faire de l'agriculture, c'est important, c'est exigeant. Il faut les apprécier.»