La SAQ a englouti au moins 14 millions de dollars dans la construction de son site web saq.com, a appris La Presse. Une partie importante de cette somme a été dépensée en pure perte, notamment à cause de caractéristiques et de technologies inadaptées aux besoins.

Documents détruits, coûts réels inconnus, chiffres de vente secrets, technologie restrictive, etc., le site web de la SAQ traîne un historique chaotique mêlé de ratés.

Dès 2000, la société d'État avait voulu donner un nouveau souffle à son site internet, lancé en 1996, en y intégrant un volet transactionnel destiné au grand public ainsi qu'aux commerçants titulaires de permis. Des 14 millions consacrés à cette métamorphose, les trois quarts ont été versés à deux sociétés: Cognicase, acquise plus tard par le Groupe CGI (7,6 millions), et Nurun, une société de Quebecor Media (2,6 millions).

Mais les chiffres communiqués à La Presse à la suite d'une demande d'accès à l'information seraient en deçà de la réalité. Premièrement parce que la SAQ a détruit, «en raison de l'application de son calendrier de conservation», plusieurs documents et factures, notamment ceux de 1996 à 2000. Deuxièmement parce que, dans le cas de certains contrats, la SAQ nous a fourni le budget alloué, et non le total des dépenses réelles.

Au départ, de 1996 à 2000, saq.com était réalisé à l'interne et hébergé à l'externe. Puis, en 2000, Cognicase a obtenu le contrat le plus important de cette opération à la suite d'un appel d'offres. Cognicase avait évalué son travail, pour ce contrat initial de deux ans, à 5 millions de dollars, mais aurait consenti une ristourne de près de 2 millions de dollars à la SAQ, pour abaisser la facture à 3,1 millions. En commission parlementaire, le libéral Jacques Chagnon, en mai 2001, avait qualifié ce rabais de «curieux». Pauline Marois, alors ministre des Finances, avait répliqué que Cognicase «l'avait emporté haut la main».

Cognicase avait pour mandat de réaliser et d'héberger le site saq.com nouvelle mouture, explique la SAQ. Sa mission consistait surtout à développer les transactions en ligne et à enrichir l'offre aux consommateurs.

Par la suite, Cognicase a obtenu deux renouvellements de deux ans pour la somme totale additionnelle de 4,4 millions. La SAQ précise qu'il s'agit du budget initial, mais elle n'est pas en mesure de dire s'il y a eu ou non dépassement de coûts au final.

Travail à refaire

Le problème, c'est que, à l'échéance de ce contrat, en septembre 2006, la société d'État a dépensé 2,5 millions de plus, versés cette fois à la firme Nurun, pour moderniser le même «volet transactionnel». Pour quelle raison?

Isabelle Merizzi, responsable des communications de la SAQ, explique que Nurun, contrairement à Cognicase, a été «capable de proposer un inventaire en temps réel alors que celui de Cognicase n'était renouvelé qu'une fois par semaine». D'autre part, ajoute-t-elle, la technologie implantée par Cognicase lui était propre et ne permettait pas de faire affaire avec d'autres entreprises. «C'était son outil, tandis que la plateforme utilisée par Nurun ne lui est pas exclusive», affirme Mme Merizzi.

Les millions de dollars investis dans ce site en quelques années ont-ils été payants pour la SAQ? Dans sa lettre à La Presse, la société d'État a refusé de révéler les revenus de saq.com depuis 2000 en invoquant le fait que cette divulgation «pourrait porter atteinte» à ses «intérêts économiques».

Devant notre insistance, Isabelle Merizzi a fini par indiquer que les recettes de la dernière année s'élevaient à 7 millions de dollars. Mais ce ne fut pas le cas les années précédentes, précise-t-elle.

Il faut se souvenir que les débuts de saq.com ont été laborieux. Les ventes ont à peine atteint 500 000$ de novembre 2000 à fin janvier 2001, alors que l'objectif était de 3 millions à la fin mars 2001. On avait invoqué la complexité du processus pour obtenir un NIP, le manque de convivialité du site et les problèmes de livraison.

Lors de sa comparution devant le comité des finances publiques en mai 2001, la ministre péquiste Pauline Marois avait été malmenée par le libéral Jacques Chagnon à propos du site saq.com et des zones grises qui l'enveloppaient. L'opposition remettait en question l'attribution du contrat à Cognicase, la rentabilité du site et même la véracité des statistiques de ventes en ligne divulguées par la SAQ. Selon M. Chagnon, la SAQ et Mme Marois avaient gonflé de jusqu'à 50% le nombre de commandes passées en ligne en y intégrant des achats fictifs réalisés par Cognicase et un autre «prête-nom» (sic) lors de tests du système, ce que Mme Marois avait nié.

-Avec la collaboration de William Leclerc