Les pluies diluviennes qui ont provoqué des inondations un peu partout au Québec - et particulièrement dans le bassin du Richelieu - auront un autre impact: des myriades de maringouins. Sinistré ou pas, l'été s'annonce piquant.

Selon l'entomologiste Jean-Pierre Bourassa, qui a travaillé sur les insectes piqueurs pendant plus de 30 ans à l'Université du Québec à Trois-Rivières, les mares et trous d'eau qui persisteront ici et là pendant de nombreuses semaines deviendront autant de réservoirs à moustiques. «Les premières émergences massives de maringouins se produisent au cours de la floraison des pissenlits. Ces insectes ne vivent pas très longtemps, mais on oublie que la moitié des espèces de maringouins du Québec sont considérées comme des moustiques d'été, explique M. Bourassa. Contrairement à leurs congénères du printemps, ils nous arrivent vers la mi-juin et produisent plusieurs générations au cours de la belle saison, assez pour perturber notre existence jusqu'au gel. Et ils sont très prolifiques.»

Évidemment, s'il survenait une sécheresse, la situation serait moins éprouvante.

Auteur du livre Le moustique, par solidarité écologique (Boréal, 1980), le scientifique ajoute que si ces insectes semblent parfois moins actifs après le printemps, c'est parce qu'une bonne partie des eaux stagnantes où vivent les larves se sont asséchées. Par contre, lors d'inondations ou de pluies estivales abondantes, les flaques et les trous d'eau se multiplient et mettent beaucoup de temps à disparaître - assez pour que les maringouins y pondent leurs oeufs et qu'émergent ensuite une foule de nouveaux moustiques bien fringants. Plus encore, les maringouins qui vivent en périphérie de ces nouveaux endroits de reproduction vont se déplacer pour s'y reproduire, ce qui risque d'augmenter d'autant la population locale. Le scientifique rappelle que certaines espèces pondent jusqu'au mois de septembre.

Devant les nuées de maringouins qui s'annoncent, l'entomologiste met en garde la population contre les nombreux mythes de la lutte contre les moustiques. «Un maringouin est d'abord attiré par les rayons infrarouges émis par sa victime (la chaleur), puis par sa forme et par le gaz carbonique qu'elle dégage. Plusieurs gadgets vous promettent une protection absolue alors que, en réalité, ils sont inutiles ou, pire, attirent les maringouins dans votre entourage.»

Comme les déplacements des moustiques sont limités et qu'ils ont tendance à pondre à l'endroit qui les a vus naître, la meilleure façon d'éviter qu'ils ne reproduisent est d'éliminer toutes les eaux stagnantes de votre environnement immédiat, même celle de la soucoupe du pot de fleurs.

Sans être prophète de malheur, M. Bourassa estime que ce mémorable printemps pluvieux pourrait avoir des effets sur la population de maringouins jusqu'en mai 2012: les conditions de reproduction ayant été propices, il faut s'attendre à ce qu'elle augmente. Très résistants à la sécheresse, les oeufs pourront éclore sans problème dès qu'ils seront recouverts d'eau, à la fin de l'hiver. Comme cela se produit de temps à autre, les oeufs peuvent éclore des années après la ponte, parfois cinq ans plus tard quand les conditions propices se présentent de nouveau.

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Du cheval au dromadaire en passant par l'émeu

En dépit de son triste bilan de cinq morts de 2002 à 2006, le virus du Nil occidental (VNO) attire moins l'attention. La grippe aviaire aussi. Par contre, un nouveau venu, très voisin du VNO, et lui aussi transporté par un maringouin, est maintenant sous la loupe des autorités du ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec (MAPAQ).

Depuis 2008, le virus de l'encéphalite équine de l'Est a causé la mort de 41 chevaux au Québec, souvent de 24 à 48 heures après l'apparition des premiers symptômes. L'an dernier, des 14 bêtes atteintes répertoriées, 13 sont mortes. Selon la vétérinaire Isabelle Picard, responsable du Réseau équin du Québec au MAPAQ, il est fort probable que le nombre de cas soit plus important puisque ces mortalités ne sont pas toutes signalées. L'apparition de la maladie suit l'émergence de l'espèce de maringouin qui la transmet, soit de la mi-juillet jusqu'au gel.

Contaminé par un oiseau infecté, le moustique transmet le virus par une nouvelle piqûre. La majorité des cas proviennent de la région de Lanaudière, mais d'autres chevaux ont été infectés ailleurs au Québec, notamment en Montérégie et dans les Laurentides. Aux États-Unis, en plus d'avoir causé la perte de nombreux chevaux, le virus a entraîné la mort de quelques personnes qui avaient contracté la maladie.

En dépit de son nom, le virus de l'encéphalite équine peut aussi toucher plusieurs autres animaux, notamment des oiseaux comme l'émeu, l'autruche, le dindon et les faisans, ou encore le dromadaire et le chameau. Par exemple, le virus a presque mené à la ruine un éleveur d'émeus de Lavaltrie. En 2008, Jean Apreo a perdu 48 de ses 58 oiseaux en quelques jours. L'année suivante, il a subi d'autres pertes et, l'an dernier, alors qu'il tentait de refaire son troupeau, la maladie a causé la mort de 10 autres oiseaux. Le producteur a aussi perdu des faisans, des dindons et des pigeons à cause de l'encéphalite équine. S'il existe un vaccin pour le cheval qui permet de contrer le virus, ce n'est pas le cas pour les oiseaux.

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De l'ail pour éloigner les maringouins à Saint-Amable

Chaque jour ou presque, Kai Schierholz promène ses chiens au parc Le Rocher, à Saint-Amable, sur la Rive-Sud. À partir de la mi-mai, il devait affronter des hordes de maringouins voraces. Mais ce n'est plus le cas.

Il y a deux semaines, la municipalité a procédé à l'épandage d'un produit à base d'ail pour éloigner les moustiques. «J'étais sceptique, mais il faut se rendre à l'évidence, il y a beaucoup moins de maringouins, presque plus en réalité», dit le promeneur, rencontré lors d'une visite dans le parc. «L'an dernier, après le premier épandage, j'ai cru que c'était seulement une impression. Mais non, ça marche vraiment. Cette année, c'est encore plus évident. Avant la vaporisation, c'était terrible; après, les moustiques ont disparu. L'odeur d'ail ne dure pas très longtemps, mais elle réapparaît quand il pleut.»

Chimiste de profession, le scientifique allemand habite à Saint-Amable depuis trois ans. Il est d'autant plus satisfait du traitement qu'il est à base de produits naturels, selon les recherches qu'il a lui-même faites sur le sujet. «Dans ma propre cour, il y a beaucoup plus de moustiques que dans le parc. Et si je marche à la limite de la zone traitée, c'est épouvantable.»

Le vaste parc Le Rocher compte sept terrains de soccer, deux terrains de balle, un stationnement et d'immenses aires gazonnées. De plus, il est entouré en bonne partie d'étangs à quenouilles, une gigantesque pouponnière à moustiques.

Incommodés par les insectes durant leurs activités sportives, des citoyens se sont plaints à la Ville, il y a un an.

«J'avais entendu parler de la firme Contrôle moustiques, de Verchères, et de son produit à l'ail. J'étais très sceptique, dit Théo Ouellette, responsable des travaux publics à Saint-Amable. Mais comme les plaintes étaient nombreuses, le produit considéré comme sans danger, le traitement relativement peu coûteux (2400$ pour trois épandages durant l'été), nous avons décidé de tenter l'expérience la saison dernière.»

Selon lui, les résultats sont surprenants. «L'entrepreneur semblait lui-même étonné, ajoute M. Ouellette. Devant la satisfaction des citoyens, nous avons donc renouvelé les traitements ce printemps.»

Propriétaire de la firme Contrôle moustiques, Ghislain Gauthier indique que son produit est composé à 98,9% de jus à base d'ail. D'après lui, l'odeur agirait comme répulsif. Il soutient même que la solution tue le maringouin.

Camionneur, M. Gauthier a découvert le fameux chasse-moustiques alors qu'il voyageait aux États-Unis. Constatant que plusieurs terrains de golf utilisaient ce genre de produit, il a décidé de lancer sa propre entreprise l'an dernier. Fabriqué aux États-Unis, le produit est en vente libre au Canada. Ghislain Gauthier affirme qu'il a modifié la formule pour la rendre plus efficace. Selon lui, une application par mois est suffisante.

Jugé satisfaisant par la municipalité de Saint-Amable, le traitement suscite autant d'intérêt que de scepticisme chez les experts en entomologie interrogés. Il existe une foule de produits antimoustiques sur le marché, font-ils valoir, mais leur efficacité reste souvent à démontrer de façon scientifique. Récemment retraité, le microbiologiste Jacques Boisvert, qui a travaillé durant des années sur les insectes piqueurs à l'Université du Québec à Trois-Rivières, estime que l'ail n'a probablement pas encore livré tous ses secrets et que certains composés, peut-être même inodores, pourraient être des répulsifs intéressants. Mais encore faut-il le démontrer rigoureusement, dit-il.

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Le BTI, encore le plus efficace

C'est dans les années 80 que la firme GDG Environnement, de Trois-Rivières, a commencé sa lutte contre les moustiques à des fins commerciales, une première au Canada. La firme, qui a exécuté des centaines de contrats dans ce domaine, notamment auprès de municipalités, considère toujours le BTI, du nom de la bactérie Bacillus thuringiensis israelensis, comme l'arme la plus efficace contre les maringouins. Mais il coûte beaucoup plus cher que le jus d'ail.

On utilise un cristal produit par la bactérie pour fabriquer l'antimoustique. La solution est amalgamée à des résidus de maïs qui ont la taille d'un grain de riz et sont déposés dans les mares ou les cours d'eau. La larve de l'insecte l'ingère, ce qui perturbe son système digestif et provoque sa mort rapidement, parfois en quelques heures.