Geneviève Maclean et Tyler Hall, propriétaires d'un appartement dans un édifice neuf du quartier Saint-Henri, viennent d'apprendre une mauvaise nouvelle: ils ne peuvent pas profiter de la garantie des maisons neuves, même si leur immeuble menace de s'écrouler.

Tout comme eux, les propriétaires des six autres appartements de cet immeuble de la rue Saint-Ferdinand ont reçu un ordre d'évacuation de la Ville de Montréal, en novembre 2009.

Les inspecteurs de la Ville ont constaté «un affaissement de la structure» et conclu que le bâtiment, habité depuis 2004, était dans «une condition dangereuse». Le coût des réparations est estimé à plus d'un demi-million de dollars.

L'entrepreneur s'est défilé. Les propriétaires se sont adressés à l'Association provinciale des constructeurs d'habitations du Québec (APCHQ), mandatée par le gouvernement pour gérer la garantie des maisons neuves. L'APCHQ a rejeté leur demande au motif que la garantie était échue depuis six mois en novembre 2009. Les propriétaires ont contesté cette décision, et un arbitre leur a donné raison le 15 avril dernier. Il a ordonné à l'APCHQ d'utiliser la garantie pour faire les réparations.

La Loi sur le bâtiment stipule que la «décision arbitrale est finale et sans appel». Mais, la semaine dernière, l'APCHQ a présenté une requête en révision judiciaire en Cour supérieure. Elle affirme que la décision de l'arbitre est «déraisonnable» et qu'elle doit être annulée.

«Avec la décision de l'arbitre, on pensait voir la lumière au bout du tunnel. Maintenant, je crois qu'on n'aura pas d'autre issue que de faire faillite», affirme Mme Maclean, âgée de 29 ans. Elle est comptable; son conjoint, âgé de 36 ans, est cascadeur. Ils ont une petite fille, Hunter, âgée de 9 mois. Ils tirent le diable par la queue.

Comme les autres copropriétaires de leur immeuble, Mme Maclean et M. Tyler ont dû quitter leur appartement à deux semaines d'avis, en décembre 2009. Ils ont déménagé sept fois. Il leur a fallu payer un loyer en plus des traites hypothécaires et de l'impôt foncier.

Ils ont versé d'importantes contributions au Syndicat des copropriétaires du 716, rue Saint-Ferdinand: collectivement, les copropriétaires ont dépensé près de 100 000$ pour faire les réparations d'urgence, embaucher un ingénieur, payer un avocat pour contester le refus de l'APCHQ d'honorer la garantie des maisons neuves, etc.

M. Tyler, qui a payé l'appartement 225 000$, a cessé de rembourser son hypothèque. Il doit 4965$ à la Banque Royale. Le 8 avril, la Banque lui a envoyé un avis de vente sous contrôle judiciaire.

«J'en ai assez, dit sa conjointe, Geneviève Maclean. Cette histoire m'a brûlée. Le système n'est vraiment pas fait pour les citoyens.»

Shannon McCardle, autre copropriétaire de la rue Saint-Ferdinand, est en colère. Courtière immobilière âgée de 44 ans, elle s'en est tirée un peu mieux que les autres, pour la plupart de jeunes gens qui achetaient leur premier appartement.

«Une jeune mère seule habite maintenant chez sa mère avec son enfant autiste, dit-elle. Elle couche sur le canapé. Deux étudiants ingénieurs venus de France devront déclarer faillite. Quelle belle publicité pour la garantie des maisons neuves!», dit-elle avec ironie.

La Régie du bâtiment a délivré une licence à un entrepreneur sans vérifier sa compétence, accusent Mmes McCardle et Maclean. «La Régie n'a pas le mandat de surveiller la construction des bâtiments résidentiels de huit logements et moins», souligne un porte-parole, Sylvain Lamothe.

L'arrondissement du Sud-Ouest a délivré un permis de construction alors qu'il n'y avait pas de plans d'ingénieur en structures, affirme Mme Maclean. «C'est vrai, reconnaît Stéphane Bernaquez, le responsable des permis. À l'époque, on n'exigeait pas ces plans. Maintenant, on demande à les voir.»

«Les compagnies d'assurances refusent de payer les réparations parce qu'elles disent que notre police ne couvre pas les vices de structure, dit Mme McCardle. La Ville de Montréal évacue l'édifice mais continue d'exiger des taxes.»

«Et le bouquet, le voici: l'APCHQ va nous traîner en cour pendant encore plusieurs mois pour essayer d'annuler la décision d'un arbitre, qui est censée être sans appel», dit Mme Maclean.

Ronald Ouimet, directeur général de la garantie des maisons neuves à l'APCHQ, se défend de vouloir ruiner les propriétaires de l'immeuble de la rue Saint-Ferdinand. «La garantie est limitée à cinq ans pour les vices de structure, dit-il. Elle a débuté en juin 2004 et les vices de structure ont été dénoncés cinq ans et demi plus tard, en novembre 2009. L'arbitre a erré.»

La Loi sur le bâtiment prévoit que la garantie commence lorsque l'entrepreneur et l'acheteur signent un avis de fin des travaux. L'arbitre, Me Jean-Philippe Ewart, affirme que le syndicat des copropriétaires de la rue Saint-Ferdinand n'a jamais reçu cet avis.

Me Ewart met ouvertement en doute le sérieux de l'entrepreneur, Développements TGB (pour Pierre Tremblay, Jules Gagné et Hossein Bayat). Cette entreprise n'a plus de licence de la Régie du bâtiment. La Presse a tenté de joindre les actionnaires, mais sans succès.