Quand un couple d'immigrants haïtiens est arrivé au début octobre à la Maison d'Haïti de Montréal, Ghislaine Brutus a demandé qu'on les photographie. «Ils étaient une espèce rare: les premiers qui arrivaient chez nous grâce au programme de parrainage humanitaire. Les premiers, neuf mois après le séisme!» raconte l'employée de l'organisme.

Les bénéficiaires de ce programme arrivent au compte-gouttes. À la mi-octobre, on n'en comptait que 18. Pourtant, Québec a reçu 8354 demandes.

Parmi ces demandeurs, quelque 2400 ont déjà reçu un certificat de sélection du Québec. Mais ils attendent la deuxième et dernière étape. L'autorisation d'Ottawa, en fonction d'une évaluation médicale et judiciaire. Une étape longue à franchir, déplore Marjorie Villefranche, directrice des programmes de la Maison d'Haïti.

«Je connais une femme qui est morte en attendant de réunir les documents nécessaires, lance-t-elle. C'est inacceptable.»

Le programme spécial a été adopté le 3 février dernier, peu après le séisme. Il permet à un Québécois de parrainer un frère ou une soeur, un demi-frère ou une soeur, un enfant non à charge de plus de 22 ans ainsi que leurs familles respectives.

Les immigrants doivent répondre à la grille habituelle d'évaluation, qui considère entre autres leur formation professionnelle. Le parrain doit aussi se porter garant de sa famille sur le plan financier.

Plus de quatre demandes de parrainage sur cinq sont acceptées. Une fois le certificat de sélection obtenu, les demandeurs doivent s'adresser à Citoyenneté et Immigration Canada. On y étudie leur dossier médical et judiciaire avant de finalement délivrer un visa de résident permanent.

Démarches difficiles

Le problème vient de cette dernière étape, observe Marjorie Villefranche. «Ottawa demande des documents extrêmement difficiles à obtenir depuis le séisme. Il faut prouver son identité avec son certificat de naissance. Mais beaucoup d'Haïtiens l'ont perdu dans les décombres de leur maison. Et le bureau des archives de Port-au-Prince n'est plus opérationnel. Les gens du bureau temporaire sont débordés. Il faut connaître la bonne personne pour être servi. Et lui offrir un pot-de-vin.»

Prendre sa photo n'est pas plus simple, déplore sa collègue Ghislaine Brutus. «Elles doivent obligatoirement être prises dans certains studios. Je connais une famille dont la maison de Port-au-Prince s'est écroulée à cause du séisme. Ils ont fui en province, à (l'île de) la Gonâve. Mais ils ont dû revenir avec leurs enfants à Port-au-Prince seulement pour prendre une photo dans le bon studio.»

Prouver que son dossier criminel est vierge n'est pas plus simple, dit Mme Villefranche. «Il faut souvent graisser la patte des policiers.»

Visa temporaire

Selon elle, le problème était prévisible. Comme Mme Villefranche, le critique du Parti québécois en matière d'Immigration, Benoît Charrette, voudrait qu'Ottawa accorde un visa temporaire aux Haïtiens qui ont reçu un certificat de sélection du Québec. Ils auraient donc pu habiter au Québec en attendant que le fédéral évalue leur demande.

Le ministre Kenney a refusé. La ministre québécoise de l'Immigration, Kathleen Weil, dit comprendre la décision de son homologue fédéral. «On ne peut pas raccourcir les vérifications de santé et de sécurité. Elles sont importantes», explique-t-elle.

Mme Weil assure être en contact quotidien avec le ministère fédéral de l'Immigration, qui agit «avec célérité». Elle a transmis à M. Kenney un dossier de la Maison d'Haïti qui révèle à quel point il serait difficile de trouver les documents exigés par Ottawa. «J'attends une réponse d'ici environ une semaine. Mais il n'est pas évident de trouver des façons plus rapides pour prouver l'identité d'une personne.»

Elle assure que les demandes de visa commencent à arriver au fédéral.

Le programme spécial est fermé depuis la fin juillet. Québec a reçu 8354 demandes. La ministre Weil estime qu'un total de 5000 certificats devraient être émis une fois que toutes les demandes auront été évaluées.

Son prédécesseur, Yolande James, estimait que Québec pouvait seulement en accueillir 3000 pour respecter la capacité d'intégration et pour ne pas «vider Haïti» de ses ressources humaines.

Mme Weil dit que les demandes commencent maintenant à arriver à Ottawa. «Il y a un mois, 100 détenteurs de certificat québécois avaient envoyé leur demande à Ottawa. On en compte maintenant 1075.»