Au matin, ça y était. Après 12 ans d'âpres négociations, après la rédaction d'une toute nouvelle Constitution, puis après une nuit complète à signer 6000 documents de toutes sortes, il n'y avait plus de réserve. Cela fait maintenant un an que les habitants de Tsawwassen sont maîtres de leur destin, affranchis de la Loi sur les Indiens.

Depuis, tous les regards autochtones du pays sont tournés vers eux.

Ne comptez pas sur les gens de Tsawwassen pour tenir l'habituel romantique discours sur la nécessaire préservation de la nature. Ici, on cause condos, parc industriel, incinérateur et centre commercial.

Les gens de Tsawwassen étaient cependant déjà entrepreneurs bien avant de signer leur traité.

Contrairement à Kahnawake, d'où l'on cherche à expulser les Blancs, ici, depuis les années 80, on les accueille à bras grands ouverts, qu'ils partagent ou non leur couche avec un autochtone. Là-haut, sur une colline, en pleine réserve, des dizaines de Blancs se sont construit d'immenses manoirs. Mais attention! Ils ne vivront jamais là qu'à titre d'invités, en vertu de baux de 99 ans. Jamais leur terrain ne leur appartiendra.

C'est ce type d'usage qu'entend maintenant faire Tsawwassen, à plus grande échelle, des terres nouvellement acquises. Sans avoir à demander à Ottawa plus de bénédiction que n'importe quelle municipalité ordinaire.

«Désormais, nous sommes libres. Libres et responsables de nos actes», résume Andrew Bak, qui a été l'un des principaux négociateurs du côté des autochtones.

Et à quoi se mesurera le succès ou l'échec de la démarche? Justement, à la croissance économique qui viendra ou ne viendra pas. Car pour convaincre les gens de consentir à payer taxes et impôts, le conseil de bande les a assurés qu'ils y gagneraient largement au change. Que les redevances qu'ils retireraient individuellement de la croissance économique seraient nettement plus élevées que leurs exemptions fiscales actuelles.

«Cette histoire de taxes et d'impôts à payer effrayait bien des gens, dit Ruth Adams, aînée de la communauté. Moi, je leur ai fait valoir que de ne pas payer d'impôts, ce n'est pas un très grand privilège quand on n'a pas de job de toute façon...»

«Dans la ville voisine, à Delta, ils insistaient pour la préservation des terres agricoles, ajoute le négociateur Andrew Bak. À Delta, ils voulaient que nous soyons verts. Mais il n'était pas question que nous restions assis sur nos terres. Si on nous avait refusé l'exploitation industrielle, c'est simple, il n'y en aurait pas eu, de traité.»

«Ça, c'est sûr, dit Tony Jacobs, aujourd'hui président de l'Assemblée du nouveau gouvernement. Dans 10 ans, c'est écrit, il faut payer des impôts comme tout le monde. Si nous avions renoncé aux chèques des Affaires indiennes, si nous avions consenti à payer des taxes et qu'on nous avait empêchés de brasser des affaires, là, ça n'aurait pas pu marcher.»

À l'arraché

Ce traité a donc été obtenu à l'arraché. Il a fallu convaincre les gens de la communauté, convaincre les gouvernements, convaincre les voisins, mais surtout, il a fallu se convaincre soi-même.

«Ma plus grande peur, c'était que tout cela se termine dans un grand échec, avoue la chef Kim Baird. Aujourd'hui, je suis optimiste: sans doute ferons-nous des erreurs, sans doute prendrons-nous de mauvaises décisions, mais ce qui est sûr, c'est que nous ferons mieux que sous la Loi sur les Indiens.»

Tous n'ont pas été convaincus. Bertha Williams, une Amérindienne de Tsawwassen, est celle qui enrage le plus, à tel point qu'elle a fait trois voyages aux Nations unies, à Genève, depuis 2009.

À son avis, si le référendum a récolté un oui massif (à 70%), c'est qu'on a carrément acheté le vote des aînés.

À la signature de l'entente, les Amérindiens de plus de 60 ans ont chacun reçu 15 000$. Ceux qui n'avaient pas atteint cet âge ont obtenu 1000$. «En clair, mon statut d'Amérindienne a été vendu pour 1000$. Il me semble que je vaux plus que cela.»

Ne le conserve-t-elle pas? «Pas quand on considère à quel point on l'a atrophié», dit-elle.

Mme Williams estime que sa communauté ne devrait jamais payer de taxes, mais en percevoir. «Un port est construit sur nos terres, d'où est acheminé du charbon. Si on avait négocié de justes redevances là-dessus, on n'aurait jamais eu besoin de ce traité.»

La chef Kim Baird croit au contraire qu'il n'y avait pas d'espoir sous l'ancien régime. «Il n'était pas normal que nous n'ayons pas les mêmes conditions de vie que les Blancs d'à côté.»

Mais s'ils ne sont plus une réserve, s'ils ne forment pas non plus une municipalité, que sont-ils, au juste? Des Salish de la côte, des «Indiens du traité».

Sans filet, et la tête haute.