La lucrative industrie du passage d'immigrants clandestins est odieuse et doit cesser, selon le gouvernement conservateur qui devrait annoncer la semaine prochaine des mesures plus sévères. Mais selon Cristina, une immigrante qui vit maintenant en sécurité à Ottawa, le trafic des réfugiés lui a sauvé la vie.

Si cette mère de quatre enfants est maintenant en sécurité, elle le doit à des passeurs qui lui ont permis d'échapper à la violence des gangs de rue dans son pays d'origine, le Salvador.

«Si j'y étais restée, ils m'auraient tout simplement tuée. Ils auraient tué mes enfants», a déclaré d'une voix douce la réfugiée, stoïque, lors d'une entrevue accordée à La Presse Canadienne.

La couturière salvadorienne a versé une véritable petite fortune aux passeurs, à deux reprises, et a risqué sa vie pour vivre dans un pays sécuritaire. Cristina n'est pas son véritable prénom. Trois de ses enfants se cachent toujours au Salvador et elle souhaite préserver son anonymat jusqu'à ce qu'ils l'aient rejointe au Canada.

Il y a environ cinq ans, elle en est venue à la conclusion qu'elle devait quitter son pays. Elle recevait des menaces de mort croissantes pour avoir tenté de préserver sa fille aînée des demandes sexuelles d'un gang de rue bien organisé et brutal. Les membres du groupe avaient alors aussi ciblé sa fille de 13 ans. Cherchant désespérément à protéger sa vie et celle de ses enfants, la femme de 40 ans s'est renseignée et a rapidement trouvé un passeur qui lui a proposé son transfert aux États-Unis pour 6500 $ US. Elle s'est retouvée coincée dans un conteneur étouffant pour finalement se faire arrêter à la frontière entre le Mexique et le Canada.

De retour dans son pays, elle s'est mieux préparée et a réussi sa deuxième évasion.

Les conservateurs prévoient légiférer dans le but de s'attaquer directement aux activités des passeurs clandestins.

Inquiet par l'arrivée de deux navires de réfugiés tamouls au cours de la dernière année et préoccupé par la possibilité qu'il y en ait davantage, le premier ministre Steven Harper a promis de faire tout ce qu'il était possible pour décourager d'autres transporteurs d'immigrants.

«Notre gouvernement ira de l'avant, après la pause parlementaire, avec une législation complète en vue de décourager ce type de comportement, parce que je crois que pour la grande majorité des Canadiens, le resquillage et le trafic de passagers clandestins dans notre système d'immigration est absolument inacceptable», a déclaré M. Harper la semaine dernière.

Il serait toutefois presque impossible, selon des experts, de décourager les passeurs d'immigrants sans aggraver du même coup la situation de réfugiés légitimes.

Des recherches internationales sur le trafic de clandestins démontrent que le coût et le danger lié aux services des passeurs s'accroît lorsque les pays resserrent les règles.

Les demandes pour de tels services demeurent élevées, puisque les personnes en détresse seront prêtes à partir, peu importe le prix. Les répressions gouvernementales augmentent donc la criminalité liée au trafic d'immigrants plutôt que de décourager ce genre d'activités.

Dans le cas de la majorité des demandeurs d'asile légitimes, il n'y a pas d'autres options, selon le directeur du programme de recherche sur la loi pour les réfugiés et les requérants d'asile à l'Université du Michigan et également professeur invité à l'Université de Toronto, James Hathaway. «C'est un schéma classique du marché économique», a-t-il déclaré lors d'une entrevue.

«Nous avons créé ce marché. Sans un contrôle sévère des douanes actuellement en place, les contrebandiers n'auraient pas d'emploi. C'est aussi simple que cela.»

Il estime que les pays agissant seuls pour resserrer les lois augmenteront tout simplement les risques, déjà élevés, pour des personnes comme Cristina.

Selon le professeur de droit à l'Université York de Toronto, Sean Rehaag, en durcissant le ton, le Canada risque d'entacher sa réputation de pays ouvert et accueillant. Selon lui, le nombre de réfugiés arrivant par bateau est très bas au Canada et les officiers d'immigration opérant dans des aéroports sont trés vigilants pour faire respecter les lois du pays.

De son côté l'Agence pour les réfugiés des Nations unies a déja mis les pays d'accueil en garde contre le fait de traiter le processus de demande d'asile d'un point de vue judiciaire.