Blâmée par une commission d'enquête pour son rôle dans l'affaire Maher Arar, la Gendarmerie royale du Canada a décidé de corriger le tir en demandant à ses policiers de suivre des cours de formation pour les aider à mieux comprendre les différences socioculturelles du monde musulman. Depuis 2007, quelque 600 policiers ont suivi cette formation de deux jours qui les amène à se rendre dans une mosquée, à rencontrer les leaders des communautés musulmanes et à comprendre certains aspects de leur religion, démontrent des documents obtenus par La Presse en vertu de la Loi sur l'accès à l'information. Le corps policier a investi jusqu'ici environ un million de dollars à cette fin.

Les dirigeants de la GRC ont mis sur pied ce programme de formation dans la foulée du rapport du juge Dennis O'Connor sur l'affaire Maher Arar, cet ingénieur canadien d'origine syrienne qui a été arrêté à New York par les autorités américaines en 2002, avant d'être expulsé en Syrie, où il a été emprisonné pendant plus d'un an et torturé.

Dans son rapport déposé en septembre 2006, le juge O'Connor a blanchi M. Arar de tout blâme. Mais il a aussi conclu que la GRC avait fourni aux autorités américaines des informations erronées au sujet de M. Arar avant qu'il ne soit expulsé pour avoir prétendument entretenu des liens avec des éléments terroristes, notamment le réseau Al-Qaïda.

Fait intéressant, une partie de la formation destinée aux policiers est offerte par des gens issus des communautés, a indiqué hier à La Presse le commissaire adjoint de la GRC, Gilles Michaud.

«Ces gens viennent nous parler de leur communauté, de leur culture, de leur religion respective. L'objectif est de sensibiliser tous nos employés qui travaillent au programme de sécurité nationale au sujet des différences culturelles. Cette formation aide non seulement nos enquêteurs, mais aussi nos analystes et les responsables des communications. Car si nous voulons aider ces communautés, il faut d'abord bien les comprendre. Il faut aussi être sensible à certaines réalités», indique le commissaire adjoint.

Ce «dialogue» avec les leaders des communautés multiculturelles est d'autant plus important que souvent les corps policiers dans leur pays d'origine sont mal vus.

«Il est important d'établir une relation de confiance avec eux», a dit le commissaire adjoint. Il a rappelé que les dirigeants de la GRC ont rencontré à la fin août les leaders de la communauté musulmane, le jour même de l'arrestation de trois présumés terroristes à Ottawa afin de les informer de la situation et de les rassurer.

Les policiers en avaient fait autant en juin 2006 après l'arrestation de 18 individus de la région de Toronto qui complotaient pour faire sauter des camions devant la Bourse de Toronto et l'édifice du SCRS le 11 septembre 2006. Des 18 personnes arrêtées - 14 adultes et quatre adolescents - 11 ont été reconnues coupables.

«Il est important de leur rappeler que lorsque nous arrêtons des personnes dans le cadre d'une enquête, ce ne sont pas les communautés que nous visons, mais bien les criminels, qu'ils soient catholiques, musulmans ou autre. Nous visons les criminels, rien de plus et rien de moins», a affirmé M. Michaud.

Le Congrès islamique canadien a salué hier la décision de la GRC d'investir dans une telle formation pour ses policiers. «C'est une excellente nouvelle. C'est très encourageant. Nous aimerions voir si nous pouvons contribuer d'une manière ou d'une autre à cette formation», a affirmé la présidente nationale du CIC, Wahida Valiante.

Elle a ajouté que le ministre de la Défense, Peter MacKay, devrait peut-être suivre aussi cette formation, après que ce dernier eut annulé le discours que devait prononcer l'imam Zijad Delic au quartier général de la Défense nationale, à Ottawa, le 4 octobre, dans le cadre des célébrations du mois du patrimoine islamique.

M. MacKay a annulé le discours après qu'un groupe religieux chrétien, dirigé par Charles McVety, eut dénoncé dans un communiqué de presse l'invitation faite à l'imam, en accusant notamment d'anciens dirigeants du CIC d'avoir tenu des propos radicaux.

Selon Michel Juneau-Katsuya, expert en sécurité nationale, la GRC a tout avantage à mieux comprendre les différentes communautés culturelles du pays si elle veut bien remplir son mandat.

Il a souligné que depuis les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, la GRC joue maintenant un rôle important dans les enquêtes nationales et internationales sur des cas qui pourraient mettre en péril la sécurité nationale. Auparavant, cette tâche incombait surtout au Service canadien de sécurité et de renseignements (SCRS), l'agence d'espionnage canadienne.

«Entre 1984, année de la création du SCRS, et 2001, la GRC n'a pas vraiment enquêté dans le domaine de la sécurité nationale. Les policiers ont perdu une certaine expertise. Quand le 11 septembre est arrivé, ils ont été littéralement jetés dans l'arène en étant mal préparés. Les incidents de Maher Arar et compagnie s'expliquent en partie par cela», a dit M. Juneau-Katsuya.

- Avec la collaboration de William Leclerc