Le 17 octobre, le frère André sera canonisé. Entrevue avec Micheline Lachance, historienne, journaliste et auteure de l'ouvrage Le frère André, fruit de très méticuleuses recherches sur le plus célèbre thaumaturge du Québec.

Q : L'Église s'apprête à canoniser le frère André. À son époque, pourtant, les religieux d'ici n'étaient-ils pas embarrassés par ce «frère graisseux» qui recommandait aux malades de se frotter avec de l'huile de saint Joseph?

R : Les religieux se sont toujours méfiés des guérisseurs, de peur de tomber sur des charlatans. Au début, les pères de Sainte-Croix étaient au surplus embêtés par les mouvements de foule occasionnés par la popularité du frère André. Ils ne voyaient pas d'un bon oeil non plus que des parents du collège Notre-Dame (où le frère André recevait des visites) menacent de retirer leur enfant du collège de peur que les malades ne soient contagieux. Mais il n'y avait pas que cela: certains regardaient de haut ce frère illettré qui pouvait mettre de 5 à 10 minutes pour écrire son nom.

Q : Vous relatez que, à partir de 1909, le frère André recevait plus de 9000 lettres par mois. Comme il était analphabète, en prenait-il tout de même connaissance?

R : Il avait un secrétaire et des amis qui les lisaient et qui répondaient en son nom.

Q : Si, de nos jours, un autre frère André était réputé faire des miracles, le croirait-on?

R : J'en doute, d'autant plus que les gens ont souvent tendance à crier rapidement au miracle. À preuve, tous ces gens qui, par exemple, se blessent en ski et apportent leurs béquilles à l'Oratoire en disant qu'ils ont été guéris par le frère André! Fait à savoir, l'Oratoire m'a informé qu'on ne conserve que les béquilles datant de l'époque du frère André. Les autres sont envoyées en Haïti.

Q : Une théologienne m'a déjà dit qu'elle trouvait très douteux ces miracles que l'on finit toujours par trouver quand on veut béatifier ou canoniser quelqu'un. Qu'en pensez-vous?

R : La question des miracles fait l'objet de débat dans l'Église. N'est-ce pas le parcours exemplaire de quelqu'un qui fait de lui un saint? On ne connaît pas de miracles à mère Teresa, et pourtant... Il faut aussi voir que plusieurs guérisons autrefois inexpliquées trouvent aujourd'hui des explications scientifiques, sans compter ce qui relève de l'autoguérison ou de l'effet placebo. Et combien de gens se sont décrétés miraculés de la tuberculose alors qu'ils n'avaient couvé qu'une fièvre des foins? Même les guérisons miraculeuses authentifiées par Rome après de longs examens peuvent trouver plus tard une explication scientifique, y compris les miracles attribués aujourd'hui au frère André. N'empêche, l'Église continue d'exiger ces miracles, qu'elle voit comme un signe visible que la personne est auprès de Dieu, au ciel. Personnellement, je trouve que c'est un peu injuste, notamment pour ceux ou celles, comme Jeanne Mance, qui sont tombés dans l'oubli et qui n'ont pas, comme le frère André, un sanctuaire pour nous rappeler leur oeuvre.

Q : Quels sont ces miracles attribués officiellement au frère André?

R : Dans la longue enquête sur sa vie qui a précédé sa béatification, les médecins ont étudié 16 guérisons et n'en ont retenu que trois. Un seul de ces cas a été authentifié par Rome, celui de Joseph Audino, un Américain de Rochester qui s'est remis d'un cancer du foie généralisé en 1957 alors que son médecin ne lui donnait, à un moment donné, que 24 heures à vivre. Ensuite, pour qu'une personne soit canonisée, il faut qu'on puisse lui attribuer un miracle survenu depuis sa béatification. Ce miracle, ai-je appris en parlant au Dr Yvon Roy, chef de l'équipe de huit médecins qui se sont penchés sur le sujet, c'est celui d'un garçon de 10 ans qui a été heurté alors qu'il roulait à vélo. Il a eu deux fractures du crâne, une hémorragie cérébrale, une pneumonie, son coma a duré trois semaines, mais il s'en est sorti sans séquelle.

Q : De son propre aveu, le frère André pouvait avoir un sale caractère, envoyer promener des gens. Il était cassant et, dit-on, misogyne. La marque d'un saint?

R : Il était de son temps, et non, il ne supportait pas le moindre décolleté. Pour ce qui est de sa personnalité - qui a fait partie de l'enquête sur sa vie avant qu'il ne soit déclaré vénérable -, il aurait été le premier à penser qu'il ne méritait pas d'être saint. Il se savait impatient, il se sentait mal quand il avait eu une saute d'humeur et il s'en ouvrait souvent à son ami, le père Émile Déguire. En même temps, il faut se rappeler qu'il voyait jusqu'à 40 personnes à l'heure, ce qui était sûrement éprouvant lorsqu'il est devenu vieux et fatigué. Et tous ces malades n'espéraient rien de moins que d'être guéris par lui, alors que lui n'avait de cesse de rappeler qu'il n'était que le «petit chien» de saint Joseph. Petite parenthèse ici, selon Émile Déguire, le frère André savait, dès qu'il voyait quelqu'un, s'il allait être guéri. Dans certains cas, peut-être trouvait-il justifié de secouer certaines personnes, de les amener à se prendre en main.

Q : Les mortifications que s'imposait le frère André - comme le cilice qu'il portait - ont-elles aidé ou nui à sa béatification et à sa canonisation?

R : Ces mortifications n'ont pas eu d'impact dans le procès qui a été fait sur sa vie avant qu'il ne soit déclaré vénérable. Pour ma part, j'ai quand même cherché à savoir si c'était là la marque du masochisme. Un psychanalyste m'a répondu que ce n'était pas nécessairement le cas et un prêtre m'a rappelé que les mortifications faisaient partie de la tradition chrétienne. Il a fait l'analogie avec les athlètes, qui s'imposent des souffrances pour mieux se dépasser. Le tribunal est par ailleurs resté froid devant les allégations voulant que le frère André ait été tourmenté par le diable, qui lui aurait serré le cou. On a pensé qu'il pouvait s'agir d'hallucinations.

Q : Les journalistes sont souvent des êtres assez pragmatiques et plutôt sceptiques. Vous y croyez, vous, aux miracles?

R : Je suis croyante. Pour ce qui est des miracles, je trouve cela plus secondaire. Aujourd'hui, je crois que le frère André inspire moins par ses miracles que par son parcours, celui d'un petit homme de peu de santé, sans famille ni avenir, qui a réalisé son rêve: élever un lieu de culte consacré à saint Joseph sur le mont Royal.