Alicia, jeune femme inuite d'Umiujaq, s'estime chanceuse malgré tout. Elle a sa propre chambre dans le quatre et demi qu'elle partage avec sept autres personnes. Un couple occupe l'autre chambre. Les cinq enfants couchent dans le salon. Quand les adultes finissent par aller se coucher, le soir, les enfants sortent les matelas, les étendent par terre et se couchent.

«La pénurie de logements, c'est le principal problème au Nunavik, qui entraîne des conséquences économiques, culturelles et sociales», résume Jean Boucher, directeur des services à la clientèle de l'Office municipal d'habitation Kativik.

Serge Déry, directeur de la Santé publique au Nunavik, énumère les problèmes de santé aggravés par le surpeuplement des logements: les maladies infectieuses se propagent rapidement, les enfants ont des otites à répétition, l'incidence des infections à streptocoque est plus élevée que partout ailleurs au Québec.

«Ce qui nous préoccupe encore plus, c'est la santé mentale, poursuit-il. Il y a deux ou trois générations dans le même logement, trois ou quatre jeunes dans la même chambre. C'est difficile, pour un enfant, d'avoir un endroit tranquille pour faire ses devoirs.»

Selon Paul Parsons, maire de Kuujjuaq, c'est tout le bien-être de la communauté qui est compromis.

«Tous les problèmes sociaux sont aggravés, lance-t-il. Lorsqu'il y a abus d'alcool, de drogue, lorsqu'il y a de la violence, les gens ne savent plus où aller.»

Ce sont les gens en première ligne dans les services sociaux qui tentent de recoller les pots cassés.

«Je reçois une vieille dame de 72 ans deux fois par semaine», raconte Gisèle Frenette, que La Presse a rencontrée pendant sa pause dans le local du syndicat des travailleurs du centre de santé Tulattavik d'Ungava (CSN).

«Son mari la bat. Elle veut partir, mais où peut-elle aller? Cela peut prendre deux à trois ans avant d'obtenir un appartement. Combien de fois devra-t-elle se faire battre en attendant?»

Retirer le mari n'est pas non plus une solution.

«On ne peut pas le laisser dans la toundra», explique M. Déry.

L'inceste est aussi un problème.

«Au sud, quand on a un mononcle «cochon», on essaie de se tenir loin de lui lorsqu'on le voit à un party de famille, lance M. Boucher. Mais ici, il couche dans la même chambre.»

Le surpeuplement a également un impact sur ceux qui essaient de remettre de l'ordre dans leur vie, qui essaient d'arrêter de boire, par exemple.

«Quand ils reviennent de leur programme (de désintoxication) de six semaines, ils sont sobres, indique Mme Frenette. Mais ils retournent vivre dans une maison où 12 personnes boivent. Ils font de leur mieux, mais ils vont recommencer. Il leur faudrait être surhumain pour résister.»

Elle souligne également le sort des jeunes en familles d'accueil. À 18 ans, ils doivent en sortir. Mais pour aller où?

Les jeunes couples ne peuvent pas partir de chez leurs parents pour fonder une famille, il n'y a pas de logements. Ce qui joue évidemment contre la stabilité de ces unions.

«Les jeunes n'acquièrent pas le sens des responsabilités, déplore Mary Johaness, travailleuse sociale inuite rencontrée dans le petit local syndical. Ils consomment de la drogue et ont parfois recours à la violence pour obtenir de l'argent de leurs grands-parents.»

Les travailleurs de première ligne, souvent venus du Sud avec de grands idéaux, se sentent frustrés. Or, ils vivent également des problèmes de logement. Le gouvernement leur fournit un appartement, mais il leur faut quelques mois, parfois un an, avant de l'obtenir. En attendant, ils doivent partager avec des colocataires. Souvent, il s'agit d'un collègue de travail, avec qui ils ont passé toute la journée.

Malgré cela, le fait que le gouvernement fournisse des logements aux travailleurs du Sud crée un certain ressentiment au sein de la communauté inuite.

«Il faudrait que les habitants engagés obtiennent également un logement», observe Mme Johaness.