Le 13 août dernier, le navire Sun Sea accostait en Colombie-Britannique, avec à son bord 492 Tamouls demandant au Canada le statut de réfugiés. Si la guerre civile a officiellement pris fin en mai 2009, la minorité tamoule du Sri Lanka se dit toujours persécutée. Le Canada en abrite une des plus importantes diasporas au monde, surtout concentrée dans la région de Toronto.

Lorsque le navire Ocean Lady est arrivé au large des côtes de l'île de Vancouver, en octobre 2009, le Congrès tamoul canadien a lancé un appel à ses membres: quelques personnes parmi les 76 demandeurs d'asiles tamouls arrivés par bateau n'avaient ni famille ni contact au Canada. Le Congrès cherchait des gens pour les héberger, en attendant la fin des procédures d'immigration canadienne visant à déterminer s'il s'agissait de réfugiés légitimes ou non.

Piragal Thiru a répondu à l'appel, en prenant sous son aile deux des passagers du navire en provenance du Sri Lanka, qu'il ne connaissait ni d'Ève ni d'Adam.

«Je pouvais comprendre ce qu'ils vivaient. J'ai autrefois moi aussi été dans cette situation-là», raconte le jeune homme de 31 ans, en complet-cravate, planificateur en transport collectif pour la région de York, au nord de Toronto.

Sur les 250 000 à 300 000 Tamouls habitant au Canada, presque tous sont arrivés comme réfugiés, ou sont des enfants de réfugiés.

«Quand je suis arrivé en 1982, il n'y avait rien», se souvient Arul Aruliah, qui a contribué à la mise sur pied de la Société Tamil Eelam du Canada, financée par le ministère de l'Immigration, et dont le mandat est de venir en aide aux nouveaux arrivants.

Dans les années 80 et 90, alors que la guerre civile faisait rage au Sri Lanka, le Canada a accepté plusieurs milliers de réfugiés tamouls par année.

Aujourd'hui, la communauté est organisée, les associations, groupes d'entraide ou autres sont nombreux. Les Tamouls canadiens sont commerçants, restaurateurs, entrepreneurs, mais aussi avocats, médecins, dentistes, de sorte que l'annuaire des entreprises tamoules à Toronto fait 900 pages.

«Les Tamouls sont des gens très travailleurs. Et l'éducation est primordiale, dans la culture, estime Piragal Thiru, arrivé au Canada à l'âge de 11 ans. Les gens se disent: j'ai tout perdu, je dois tout regagner. Et ils veulent le meilleur pour leurs enfants.»

Mais aussi, ils s'activent à intégrer les nouveaux arrivants dans la communauté. «Je reçois des appels d'amis qui offrent des emplois aux deux personnes que j'héberge, raconte M. Thiru. On veut les aider. Il ne leur manque que leur permis de travail, mais les délais de traitement des demandes sont longs.»

Malgré sa forte concentration dans la région de Toronto, la communauté tamoule au Canada est si récente qu'elle n'a pas de quartier désigné, à l'instar de Chinatown ou de la Petite Italie. D'abord installée au centre-ville, elle se fond maintenant dans les quartiers pluriethniques de l'est de la métropole: Scarborough, Malvern, Rouge River, ou encore dans les villes multiculturelles de banlieue comme Markham et Brampton.

Tamouls, mais pas tigres

Dans son grand bureau qui bourdonne d'activité, Nathan Sritharan, avocat, déplore que beaucoup d'Occidentaux, y compris selon lui le gouvernement conservateur, confondent et amalgament la communauté tamoule, oppressée et victime de la guerre civile, aux Tigres tamouls, organisation séparatiste qui a revendiqué de nombreux attentats, et qu'Ottawa considère depuis 2006 comme un groupe terroriste.

«Tous les Tigres sont tamouls, mais tous les Tamouls ne sont pas Tigres», rétorque, philosophe, Me Sritharan, qui a échappé de peu aux émeutes de juillet 1983 contre la minorité tamoule à Colombo, la capitale, avant de se réfugier en Grande-Bretagne, puis au Canada.

Si la guerre civile au Sri Lanka a officiellement pris fin en mai 2009, après 27 ans d'hostilités, la minorité tamoule n'est pas pour autant au bout de ses peines.

«La guerre est finie, mais la persécution des Tamouls n'a jamais cessé», estime Piragal Thiru.

L'ONU et d'autres organismes de défense des droits, comme Amnistie internationale, s'entendent pour dire qu'il y a encore violations des droits humains un an après la fin du conflit.

«La loi sur la prévention du terrorisme est toujours en vigueur, ce qui donne au gouvernement sri-lankais le droit d'arrêter et de détenir arbitrairement n'importe qui», explique Vani Selvarajah, 25 ans, qui étudie le droit en Alberta, mais revient l'été à Toronto pour un emploi d'étudiante dans des cabinets d'avocats.

Les Tamouls installés au Canada entendent encore parler d'exécutions sommaires, de viols, d'enlèvements et de détentions prolongées dont seraient victimes ceux qui affichent leur dissension. Ce qui, selon eux, expliquerait qu'autant de leurs compatriotes continuent à fuir le pays.

«Les violations des droits ne sont pas rapportées parce que le lendemain on se ferait battre ou tuer, affirme Nathan Sritharan. La loi et l'ordre, ça n'existe pas dans l'est et le nord du pays. Si le Sri Lanka n'était pas entouré d'eau, beaucoup plus de Tamouls seraient partis.»

Les observateurs indépendants internationaux, de l'ONU notamment, se sont vu refuser l'accès aux camps de prisonniers, après la fin de la guerre, ce que plusieurs Tamouls considèrent comme une preuve qu'il s'y passe des violations graves des droits humains.

«La vie d'un Tamoul au Sri Lanka n'est pas garantie», conclut amèrement Piragal Thiru.