Neuf électeurs sur dix se disent «découragés ou rebutés» par les politiciens révèle un sondage La Presse-Angus Reid publié hier. Notre chroniqueur Patrick Lagacé a pu prendre la mesure de ce désabusement en discutant avec cinq électeurs à la taverne Normand. Des échanges animés qui démontrent que la politique a bel et bien perdu son lustre.

Voter, est-ce que ça change quelque chose?

Josette: Non. On met notre croix, mais ceux qui mènent, ce sont les grandes entreprises, les chambres de commerce.

 

Emmanuel: Je veux y croire. Les votes comptent, mais on n'a pas beaucoup de choix. Le manque de candidats de qualité m'exaspère.

Laurie: Je ne suis pas désabusée au point de ne pas aller voter.

Éric: Voter, ça a repris de sa valeur pour moi sur une phrase: «Yes we can.» Aux dernières élections américaines, voter amenait un changement. Moi, je n'ai jamais ressenti ça par rapport à mon vote.

Shubhen: Aller voter, c'est très important. Ça devrait être obligatoire. Il faut être très vigilant pour préserver notre droit de vote.

Qui serait favorable au vote obligatoire?

Josette: Si c'était obligatoire, j'aimerais qu'il y ait une catégorie: aucun de ces candidats. Je voudrais que le vote de protestation soit comptabilisé.

Laurie: Le vote obligatoire, c'est juste mettre un pansement sur le bobo. Le désenchantement, c'est un symptôme. Il faut guérir le bobo.

Un député, est-ce que ça fait une différence?

Emmanuel: Les députés ont de moins en moins de pouvoir. Mais je pense que si une personne est authentique dans sa démarche, elle peut faire une différence. Le «yes we can», il a touché la population parce que c'était senti. Leurs slogans, il faudrait qu'ils s'arrangent pour au moins y croire. Parce que ça paraît.

Shubhen: Moi, je crois que le député peut faire une différence.

Laurie: Non. Pour avoir du pouvoir, il faut que le député soit nommé ministre. Prenons le Parti conservateur au Saguenay, ma région d'origine. Je sais que les gens sont très contents. Un simple député, ça ne donne pas grand-chose.

Éric: Une fois, dans l'isoloir, j'étais avec ma fille et je lui ai dit: de quelle couleur tu veux voter? Elle m'a dit jaune. J'ai voté NPD. À Blainville, il y a eu des réalisations. On a eu un échangeur flambant neuf, un centre récréo-aquatique. Mais Blainville, c'est la ville qui a la plus forte croissance au Québec. Il y a tout un potentiel de clientèle électorale...

Une chose qui a alimenté mon dégoût, ce matin, c'est l'affaire Tony Tomassi. Pour moi, ce gars-là ne devrait pas être ministre. Et aujourd'hui, ses collègues se sont tous levés en Chambre pour l'applaudir. J'ai eu l'impression d'être pris pour un épais. Avez-vous l'impression qu'on vous prend pour des épais?

Josette: 98% du temps. On nous rit dans la face. Regardons la commission d'enquête sur la construction: 76% des gens en veulent une. Et on nous la refuse.

Emmanuel: Ce sont des événements comme ceux qui concernent le ministre Tomassi qui nous dégoûtent. Dans son cas, ce n'est plus une rumeur de corruption, c'est un fait. Je me souviens aussi de Philippe Couillard. Quelques semaines après son départ, on apprend qu'il travaille pour une entreprise dans le domaine de la santé. Son sens de l'éthique, il est où?

Laurie: On le voit dans leur face qu'ils n'y croient pas. Ils font des méga-beaux discours parfaitement écrits avec la cravate parfaite. Mais nous, on voit ce qu'il y a derrière ça: c'est exactement comme une vidéo sur un fond vert, sur lequel on peut coller n'importe quelle image.

Éric: J'ai trois filles. Quand mes filles mentent, ça paraît tout de suite. Et je le même sentiment en regardant la télé. Le non-verbal, les hésitations... How low can they go?

Est-ce que quelqu'un ici s'est déjà engagé en politique?

Laurie: Moi oui. J'avais 18 ou 19 ans, je faisais du pointage pour le Parti libéral du Canada au Saguenay.

Et qu'en retiens-tu?

Laurie: Les gens n'allaient pas voter. On se demandait pourquoi. Quelqu'un a suggéré d'aller répandre une rumeur dans le but de les pousser à voter. Ça m'avait sidérée. Ça m'a complètement désillusionnée. Ce n'est pas juste un manque d'honnêteté: c'est l'hypocrisie totale.

Avez-vous été impressionnés par un politicien au cours des dernières années?

Shubhen: Lucien Bouchard au Québec, Jean Chrétien au fédéral. Les gens ne l'aimaient pas, mais c'était un bon gestionnaire. Je ne tiens pas à être en amour avec les politiciens, mais je veux les sentir compétents.

Josette: René Lévesque. C'était un homme compétent, honnête, intègre. Lucien Bouchard. On sentait une intégrité et une force de caractère chez lui. Parizeau. Il n'y a pas eu de scandale autour de lui. Mais malheureusement, je n'étais pas souverainiste...

Éric: Lucien Bouchard pour son intégrité. Je suis souvent d'accord avec Joseph Facal. Et j'ai découvert récemment Luc Ferrandez, dont j'aime beaucoup le franc-parler.

Laurie: Parizeau, pour son intelligence. On a beau parler du désenchantement en politique, je ne ferais jamais leur job. J'ai quand même un respect profond pour les politiciens.

Emmanuel: Parizeau, pour son intelligence. Mais j'ai été déçu par sa déclaration sur le vote ethnique. L'exemple de Lula au Brésil est aussi inspirant. Il a réglé beaucoup de problèmes de pauvreté.

Dressons le portrait-robot du politicien qui pourrait vous inspirer confiance. Quelles seraient ses qualités?

Éric: L'intégrité. Le souci du bien commun. Sentir que la personne ne devient pas un personnage politique, qu'elle est capable de dire non quand ça n'a pas de bon sens.

Josette: Intégrité. Honnêteté. Un incorruptible. On ne peut pas gratter le prix qu'il a sur le front. Et il a le doigt sur le pouls de la population.

Emmanuel: Intégrité. Qui va comprendre que la population est prête à se faire dire la vérité. Ils gagneraient beaucoup de votes à être honnêtes. Et je demanderais aussi une culture générale un peu plus élevée que la moyenne.

Laurie: Charisme. Intelligence, sans être trop intellectuel. Une intelligence sociale, en fait, qui fait qu'il comprend son peuple. Intégrité. Quelqu'un qui n'a pas peur d'avouer ses erreurs.

Shubhen: Quelqu'un qui a une vision pour le futur, qui dépasse les cinq prochaines années.

Qu'est-ce qui ferait que vous vous engageriez en politique?

Shubhen: J'y ai pensé. Dans ce pays, c'est facile de s'engager. En Inde, c'était beaucoup plus difficile.

Josette: Je m'engage à ma façon. Je présente parfois des mémoires. Je milite pour certaines causes. Mais pas dans un parti.

Éric: Il faudrait beaucoup de changements pour que je m'engage. Never say no. Mais...

Laurie: Donnez-moi quelqu'un en qui je crois, et oui, je m'engage. Sur les choses qui me touchent, les accommodements raisonnables, le système de santé à deux vitesses, je m'engage. Je manifeste. Je signe des pétitions. Mais pour un parti, je ne sais pas.

Emmanuel: Il faudrait que je sente qu'il y a un leader qui soit en parfaite harmonie avec son parti. Sinon, j'aurais peur de me retrouver comme dans une manif, à marcher avec ma pancarte alors qu'il y a du monde qui monte sur les voitures et fait du grabuge.

 

Josette Lincourt, 61 ans.

Secrétaire juridique à la retraite. Originaire de Coaticook.

Elle vit à Montréal.

«On a des menteurs, à quelque échelon politique que ce soit. La malhonnêteté, je ne suis pas capable. Je n'ai pas été élevée comme ça.»

Josette Lincourt

Shubhen Sarangi, 39 ans.

Travaille dans le milieu des affaires. Originaire de l'Inde.

Il a aussi vécu aux États-Unis et en Grande-Bretagne.

Il habite à Montréal depuis 12 ans.

«J'ai vécu dans quatre ou cinq pays. Même quand on change de pays, la politique ne change pas beaucoup.»

Shubhen Sarangi

Éric Lafortune, 35 ans.

Représentant en vente de produits alimentaires.

Originaire de Montréal, il vit à Blainville.

Père de trois filles.

«Je lis les journaux depuis au moins 10 ans et j'ai rarement été touché par un politicien.»

Laurie Savard, 25 ans.

Étudiante en anthropologie. Originaire du Saguenay.

Vit à Montréal.

«Je suis la politique depuis un bon bout de temps. Je trouve que je ne suis pas représentée, ni au Québec, ni au Canada.»

Laurie Savard

Emmanuel Fréchette, 41 ans.

Concepteur visuel sur des plateaux de cinéma.

Né à Montréal, il y vit toujours. Père de deux filles.

«J'aimerais qu'on me convainque de ne plus être cynique. Je veux croire que certains politiciens sont là pour les bonnes raisons.»

Emmanuel Fréchette