Une garderie privée subventionnée de Terrebonne a mis à la porte deux jeunes enfants après que leurs parents eurent décidé de ne plus payer un supplément de 8$ par jour. La surfacturation est pourtant interdite dans les services de garde à 7$.

Sébastien Dupont dénonce la réaction du ministère de la Famille à la suite de l'expulsion de ses deux enfants, Malorie (3 ans) et Loïc (5 ans), au début du mois de février. Un fonctionnaire lui a simplement donné un numéro de téléphone pour inscrire ses enfants dans un service de garde en milieu familial.

 

Pendant ce temps, Québec verse toujours plus de 800 000$ en subventions par année à la garderie Le petit pommier, établissement de 80 places dont la propriétaire est Annie Brissette.

Mais il y a plus. Comme des reçus sont remis aux parents pour le supplément de 8$ par jour, le gouvernement verse un crédit d'impôt à ceux qui en font la demande. Il se retrouve donc à rembourser une partie de la surfacturation qu'il cherche pourtant à éliminer.

Le Ministère n'intervient pas

«La situation est obscène!» a lancé Sébastien Dupont à La Presse. Le Ministère «nous a dit: on ne peut pas obliger la garderie à reprendre vos enfants. On peut seulement lui dire que ça n'a pas d'allure, ce qu'elle fait là».

«Au total, 80% des revenus de la garderie proviennent du Ministère, et il n'a aucun droit de regard sur ce qu'elle fait. C'est complètement fou!»

Le ministère de la Famille confirme que la garderie Le petit pommier impose une surfacturation illégale. Il se défend de fermer les yeux sur la situation, lui qui a reçu une plainte d'un autre parent il y a six mois.

Le 26 février, le Ministère a envoyé à Annie Brissette un avis lui demandant de se conformer à la loi. Elle devait obtempérer avant le 12 mars, mais elle ne l'a pas fait. «On est en discussion pour qu'elle respecte la réglementation», a affirmé le porte-parole du Ministère, Étienne Gauthier. Sa subvention pourrait être annulée et son permis, révoqué.

La Presse a tenté à maintes reprises d'obtenir la version d'Annie Brissette. Pour seul commentaire, elle a dit: «Je n'ai pas à me justifier auprès de vous de quoi que ce soit que je fais. Je n'ai pas envie de vous répondre.»

La garderie subventionnée Le petit pommier a ouvert ses portes en 2005. Le tarif était de 15$ par jour, c'est-à-dire 8$ de plus que la contribution prévue à la loi. En 2006, Sébastien Dupont a obtenu une place pour son aîné, Loïc, et, ignorant la loi, il a accepté de payer le supplément.

En juin 2006, alors que la surfacturation était monnaie courante, Québec a colmaté une brèche dans la loi. Depuis, un supplément ne peut être exigé que pour des sorties spéciales, des «articles d'hygiène» comme la crème solaire et le service d'un déjeuner.

Le 30 août 2006, la garderie Le petit pommier a réagi en annonçant aux parents une nouvelle procédure afin de maintenir le tarif de 15$ et de «pouvoir conserver la qualité des services». En plus de payer 7$ à la garderie pour le «service de base», la direction affirme que les parents doivent verser 8$ par jour pour les services des Ateliers Monarque, dont l'administrateur - selon le registre des entreprises - est Michel Brissette, père d'Annie Brissette. Les Ateliers Monarque offrent un «service de relève parentale», des heures de garde la fin de semaine dans la même garderie. Les parents paient le supplément même s'ils n'utilisent pas le service. Sébastien Dupont n'y a jamais eu recours.

Question des parents

Selon plusieurs témoignages, pour convaincre les parents de payer le supplément, la garderie fait valoir que les Ateliers Monarque remettent un reçu aux fins d'impôt et que les profits de cette entreprise lui sont versés.

À l'été 2009, des parents, dont M. Dupont, ont remis en question la surfacturation. Lors d'une assemblée générale en octobre, la direction a parlé de «coupes» dans le programme éducatif si le supplément n'était pas maintenu. La majorité des parents se sont prononcés en faveur de la surtarification. La garderie a refusé de permettre à certains de ne pas payer le supplément.

Sébastien Dupont, alors bien au fait de la loi, a prévenu Annie Brissette qu'il ne débourserait plus les 8$ supplémentaires. Puis, le 28 janvier, Mme Brissette a avisé M. Dupont et sa conjointe que leurs enfants étaient expulsés, une décision qui serait effective le 8 février. Elle a expliqué que la garderie doit donner la priorité aux enfants demeurant dans le secteur Lachenaie en raison d'une nouvelle directive ministérielle.

Le 29 janvier, Sébastien Dupont, qui réside à Repentigny, a joint le Ministère, qui lui a confirmé que la directive n'existe pas. À la suite de discussions avec Annie Brissette, un fonctionnaire a dit à M. Dupont que le Ministère ne peut rien faire pour éviter l'expulsion. Il lui a conseillé de s'inscrire à un autre service de garde. Le Ministère ne lui a pas donné de nouvelles par la suite.

M. Dupont a tenté en vain d'obtenir un avis écrit d'expulsion de la part de la garderie. Selon lui, la décision est liée à son refus de payer le supplément. Malorie et Loïc restent à la maison depuis leur expulsion. Leur mère, qui attend un troisième enfant, est en retrait préventif.

Un autre parent a fait un témoignage à La Presse sous le couvert de l'anonymat par crainte de représailles. Il a porté plainte au Ministère au mois de septembre. Il a remis à La Presse des dizaines de pages de documents qui prouvent la surtarification en cours à la garderie. «Comprenez-vous que tout le monde marche sur des oeufs avec ça? a affirmé Sébastien Dupont. Les parents ont l'exemple devant les yeux. S'ils font une histoire, ce qui va arriver, c'est que leur enfant va se faire expulser.»