L'Église catholique ne serait pas au bout de ses peines au Québec : plusieurs autres victimes de prêtres pédophiles briseront prochainement le silence, prévoit France Bédard, présidente de l'Association des victimes des prêtres. Depuis deux ans, elle a reçu plus de 400 témoignages d'hommes et de femmes qui disent avoir subi des sévices sexuels de la part de membres du clergé.

France Bédard a elle-même été victime d'un prêtre il y a près de 40 ans. Elle a été violée par un vicaire, Armand Therrien, et a conçu un enfant, qui a par la suite été adopté. Des décennies plus tard, elle a voulu poursuivre son agresseur au criminel, mais il est mort juste avant le procès. Elle réclame maintenant 325 000$ à l'archevêché de Québec.

Il y a deux ans, elle a aussi fondé son association. Depuis, son téléphone ne dérougit pas. Elle a reçu 425 témoignages, d'hommes pour la plupart.

«J'ai des victimes de 65, 70 ans. Mais j'en ai aussi de 36 ans, de 40 ans. Regardez ce qui s'est passé au collège Notre-Dame. Regardez les victimes de Raymond-Marie Lavoie, à Québec. Et ce n'est pas fini. Il y en a d'autres qui s'en viennent. Ce n'est pas seulement en Allemagne et en Irlande. Ici aussi. Parce que les gens le savent, maintenant : ils ne sont plus seuls. À chaque activité qu'on organise, d'autres personnes se joignent à nous», dit Mme Bédard.

Le psychologue Hubert Van Gijseghem, spécialiste des agressions sexuelles, croit que l'histoire de France Bédard, qui a été largement relayée par les médias, pourrait avoir un effet semblable à celui qu'a provoqué Nathalie Simard lorsqu'elle a révélé la sienne. «C'est incroyable, le nombre de dénonciations qu'il y a eu après le témoignage de Nathalie Simard. Mme Bédard peut avoir un impact comparable. Les gens ont besoin de soutien pour sortir du placard.»

Au cours de sa carrière, le psychologue a rencontré à de très nombreuses occasions des victimes de membres du clergé. «Ils sont légion. Mais la majorité ne veut pas sortir du silence parce qu'ils ont honte. Ils sont souvent âgés et, pour eux, les membres du clergé étaient intouchables.» Le respect à l'égard du clergé a fait peser une «dalle de béton» sur ces enfants. «À l'époque, un enfant qui dénonçait avait plus de chances d'être giflé que d'être écouté.»

Michel Dorais, professeur à l'École de service social de l'Université Laval, a beaucoup écrit au sujet des agressions sexuelles contre les garçons. «J'ai des confidences de victimes de prêtres tout le temps. Je passe rarement une semaine sans recevoir ce genre de témoignage.»

Au début des années 2000, il prévoyait lui aussi un déferlement d'accusations contre des prêtres. Pourtant, peu de poursuites se sont concrétisées. Pourquoi? «Plus un secret a été gardé longtemps, plus les gens hésitent à parler», dit M. Dorais. De plus, les hommes hésitent souvent à dévoiler cet aspect de leur vie. «Il y a encore beaucoup de préjugés face aux hommes qui ont été agressés sexuellement», estime M. Dorais.

En 2007, le cardinal Marc Ouellet avait présenté ses excuses aux victimes pour les actes commis par l'Église «avant 1960». Mais les cas dévoilés depuis 10 ans un peu partout au Québec montrent que les actes sont parfois bien plus récents.

Analyse et profil

Il y a quelques années à peine, la clinique psychologique d'Hubert Van Gijseghem a reçu, pour le compte de l'archevêché, les futurs séminaristes qui devaient faire l'objet d'une évaluation psychologique. «Nous avons pu voir un échantillon assez large», souligne-t-il. Et les psychologues ont été étonnés de ce qu'ils ont vu. «Loin de moi l'idée de dire qu'il n'y a pas de futurs prêtres qui sont totalement clean, dit M. Van Gijseghem. Mais il y a beaucoup de problèmes d'identité, y compris sexuelle. C'est beaucoup plus élevé que dans la population en général. L'amour de Dieu était parfois un exutoire pour des difficultés relationnelles.»

Selon lui, la chasteté imposée rend l'Église catholique invitante pour un certain nombre de jeunes à la sexualité trouble. «Un jeune homme aux prises avec des inhibitions sexuelles ou qui sent chez lui des tendances sexuelles illicites peut vouloir s'imposer un moratoire, une ascèse. La prêtrise est une façon socialement acceptable de rester chaste, même idéalisée. Ils entrent dans la prêtrise avec les meilleures intentions mais, quand ils tombent amoureux d'un enfant, ils risquent davantage de passer à l'acte.»