Dans les années 50 et 60, des policiers québécois ont tué plus d'un millier de chiens d'attelage au nom de la sécurité dans les villages du Grand Nord. Un massacre qui a bouleversé le mode de vie des Inuits et créé un ressentiment envers les autorités «blanches» qui dure encore à ce jour. Cinquante ans plus tard, un rapport du juge à la retraite Jean-Jacques Croteau établit pour la première fois la responsabilité des gouvernements québécois et canadien dans cette tragédie.

Les gouvernements du Québec et du Canada doivent s'excuser auprès des Inuits du Nunavik et leur verser une compensation pour l'abattage systématique de leurs chiens d'attelage, survenu à la fin des années 50 et au début des années 60, conclut un rapport qui doit être rendu public cette semaine.

Selon ce document, des policiers québécois ont tué, à l'époque, plus d'un millier de chiens d'attelage appartenant à des Inuits. Menées au nom de la sécurité des villages, ces tueries ont été réalisées de façon brutale, sans tenir compte du rôle central que ces animaux jouaient dans le mode de vie des Inuits.

Rédigé à la demande du gouvernement québécois et de la Corporation Makivik, qui représente les 14 villages du Nunavik, ce rapport établit pour la première fois la responsabilité des autorités «blanches» dans un épisode qui a marqué la mémoire collective des Inuits du Grand Nord québécois. Et qui a eu un impact douloureux sur leurs conditions de vie, mais aussi sur leurs relations avec les gouvernements du Sud.

«L'attitude inflexible et cavalière adoptée par la police provinciale a empêché les propriétaires de chiens d'exercer les activités traditionnelles qui assuraient leur subsistance», écrit l'auteur du document, le juge à la retraite Jean-Jacques Croteau.

Ces policiers «ont traité le problème des chiens comme une infraction au Code de la route ou à un règlement municipal, ce qui a créé un ressentiment qui dure jusqu'à ce jour», poursuit-il.

De leur côté, les policiers fédéraux, qui étaient présents au Nunavik à cette époque, ont péché par omission, puisqu'ils n'ont rien fait pour empêcher les massacres, affirme le rapport, qui fait actuellement l'objet d'une analyse au Secrétariat aux affaires autochtones.

Le document, dont La Presse a pu prendre connaissance, retrace l'histoire de 10 des 14 villages établis le long de la baie d'Hudson et de la baie d'Ungava. Chaque histoire est différente, mais la séquence d'événements qui mène aux tueries de chiens est partout, grosso modo, la même.

Dialogue de sourds

Jusqu'au début des années 50, les Inuits formaient des communautés nomades qui se déplaçaient sur un vaste territoire où leurs chiens pouvaient courir en liberté. Mais à partir de 1957, Ottawa entreprend de construire des écoles près des postes de traite ou des missions religieuses du Grand Nord.

Ne voulant pas abandonner leurs enfants, les Inuits se regroupent autour de ce qui deviendra bientôt un village. Ça fait beaucoup de monde et beaucoup de chiens sur un tout petit territoire. Des accidents surviennent. Parfois, un chien mord un enfant, ou il attaque un Blanc.

La multiplication de ces incidents incite les autorités «blanches» à intervenir. S'appuyant sur la Loi québécoise sur les abus préjudiciables à l'agriculture, elles décrètent que les chiens doivent être attachés du 1er avril au 15 décembre.

La plupart des Inuits ignorent ce décret. «Ils ne pouvaient pas comprendre qu'une loi provinciale dont la plupart ne connaissaient pas l'existence confère à un agent de police la discrétion de déterminer le sort de leurs chiens de traîneaux», écrit le juge Croteau.

S'ensuit un «dialogue de sourds» dans lequel la police adopte une attitude rigide. Les dizaines de témoignages que le juge Croteau a recueillis auprès de témoins de l'époque confirment qu'à de nombreuses occasions, des policiers arrivaient dans un village pour ordonner aux habitants de faire abattre leurs chiens, ou pour tirer sur tout chien laissé en liberté.

Le juge Croteau leur reproche de ne pas avoir tenu compte de ce que ces chiens représentaient pour les Inuits: leur premier moyen de transport et de subsistance.

Les policiers, qui auraient pu négocier avec les propriétaires de chiens, ont opté pour la confrontation. Ils n'ont pas tenu compte des conséquences pour les familles dont plusieurs ont été laissées «dans le dénuement moral et matériel».

Et surtout, ils ont fait abstraction du fait que le problème des chiens «n'est pas tombé du ciel»: c'était le résultat direct de la sédentarisation forcée des Inuits.

Loi inapplicable

La situation est d'autant plus aberrante, selon le rapport, que La Loi sur les abus préjudiciables à l'agriculture est inapplicable au Nunavik, où on ne pratique ni l'agriculture ni l'élevage.

Parallèlement, les Inuits bénéficient d'une «protection constitutionnelle expresse» découlant de l'époque où la Couronne britannique a cédé leur territoire au Canada, au XIXe siècle. En ne protégeant pas les Inuits contre le massacre de leurs chiens, le gouvernement canadien a failli à sa responsabilité.

Les agents québécois et fédéraux doivent excuses et réparation aux Inuits du Nunavik, conclut le rapport, qui laisse les représentants des trois parties s'entendre sur la somme. Mais précise que l'argent devra être versé à des organismes sans but lucratif, voués à la promotion de la langue et de la culture inuites.

***

Des Inuits et des chiens

> 1878: La Couronne britannique cède la Terre de Rupert au Canada.

> 1912: Le Parlement canadien adopte la Loi de l'extension des frontières de Québec qui permet de transférer le district de l'Ungava au Québec.

> 1960: La Police provinciale remplace la GRC au Nunavik, mais les agents fédéraux restent au Nunavik jusqu'en 1964. C'est l'époque de l'abattage massif des chiens d'attelage.

> 2006: La GRC publie un rapport interne où elle conclut n'avoir aucune responsabilité dans l'abattage de chiens d'attelage au Nunavik.

> 2007: Le gouvernement du Québec et la Corporation Makivik demandent au juge à la retraite Jean-Jacques Croteau d'enquêter sur les massacres de chiens au Nunavik. - Agnès Gruda