Malgré les progrès de la condition féminine, la discrimination envers les travailleuses enceintes demeure un problème constant dans la société québécoise.

Des observateurs remarquent même une hausse récente des cas de congédiement illégal en raison de la crise économique.

Bon an, mal an, la Commission des normes du travail traite entre 300 et 350 plaintes de femmes enceintes qui ont été congédiées ou qui ont subi des représailles en raison de leur grossesse, selon les données obtenues par La Presse. Environ 250 autres plaintes contestent un congédiement à la suite d'un congé de maternité ou d'un congé parental.

«Depuis 10 ans, le nombre de plaintes est constant», a indiqué le porte-parole de la Commission, Jean-François Pelchat. La grossesse figure parmi les motifs les plus invoqués, dit-il.

Et ces chiffres sont loin de refléter l'ampleur de la problématique, selon des organismes de défense des droits des travailleurs.

«Ce n'est que la pointe de l'iceberg», résume Carole Henry, porte-parole d'Au bas de l'échelle. Même si cette pratique contrevient aux normes du travail et à la Charte des droits et libertés, la majorité des travailleuses choisissent de ne pas porter plainte, souligne Mme Henry.

Mélissa, 28 ans, ne s'est pas adressée à la Commission des normes du travail lorsque son employeur l'a congédiée, en octobre dernier.

«Les gens qui portent plainte veulent réintégrer leurs fonctions, dit-elle. Moi, je n'ai pas envie de retourner travailler pour un employeur qui m'a renvoyée de cette façon.»

Mélissa est dessinatrice. Cette résidante de la Rive-Nord travaillait depuis cinq ans pour la même PME lorsqu'elle est partie en congé de maternité, à l'été 2008, pour la naissance de son premier garçon.

Un an plus tard, elle est rentrée au travail... pour cinq semaines seulement. À la mi-octobre, un superviseur de l'entreprise l'a convoquée dans son bureau pour lui annoncer qu'elle était renvoyée.

«Il m'a dit que l'entreprise procédait à une restructuration», se souvient la jeune mère. Étrangement, un seul poste a été aboli: le sien.

À mots couverts, son supérieur lui a fait comprendre qu'elle était moins disponible qu'avant. Depuis son retour au travail, Mélissa s'était absentée à quatre ou cinq reprises pour prendre soin de son fils, qui était malade à répétition.

«Au fond, on a voulu se débarrasser de moi parce que j'avais un jeune enfant à la maison», s'indigne-t-elle.

Hausse?

Selon Mme Henry, de l'organisme Au bas de l'échelle, les employeurs invoquent souvent de faux motifs lorsqu'ils veulent se débarrasser d'employés qui coûtent trop cher ou qui ne sont pas assez disponibles à leur goût.

Ces jours-ci, la crise économique est un prétexte en or, dit-elle. D'ailleurs, Au bas de l'échelle et le mouvement Action Chômage de Montréal reçoivent de plus en plus d'appels de femmes enceintes qui disent avoir été congédiées injustement.

«Depuis 18 mois, le chômage est en hausse et les litiges concernant les femmes enceintes semblent également augmenter», constate l'intervenant Jacques Beaudoin, du mouvement Action Chômage. La Commission des normes du travail n'a pas de données préliminaires pour l'année 2009-2010.

«Cette discrimination perdure et se retrouve dans tous les milieux, y compris dans les professions libérales», remarque pour sa part Nathalie Goulet, directrice du Conseil d'intervention pour l'accès des femmes au travail.

Pour Mélissa, la crise économique est un couteau à deux tranchants. Quatre mois et plusieurs CV plus tard, la jeune mère est toujours sans emploi.

«Dans le domaine du dessin, plusieurs entreprises ont fait faillite en raison de la crise économique, souligne-t-elle. Jusqu'à maintenant, je n'ai passé qu'une seule entrevue téléphonique.»

Entre-temps, elle doit puiser dans ses économies pour se maintenir à flot. Au Canada, les femmes qui perdent leur emploi au terme d'un congé de maternité d'un an n'ont pas droit aux prestations de l'assurance emploi (voir autre texte).

C'est d'ailleurs pour ne pas nuire à ses recherches que Mélissa a préféré taire son nom de famille et le nom de son ex-employeur. «Je ne voudrais pas que l'on sache que j'ai un jeune enfant à la maison, parce que ça pourrait me désavantager», soupire-t-elle.