L'état de la langue française au Québec fait l'objet de mille débats dans les médias, mais les chercheurs ne se ruent pas à son chevet. La relève se fait rare, et les controverses des dernières années ont réduit d'autant le bassin de chercheurs de longue date encore intéressés à se pencher sur la question.

Cette année, deux postes permanents ont été ouverts au Conseil supérieur de la langue française. Des postes permanents et bien rémunérés, dans la fonction publique, en pleine récession. «On a fini par trouver, mais ces postes ont été très difficiles à combler, raconte Conrad Ouellon, président du Conseil supérieur de la langue française. On a dû élargir la description du poste et embaucher des gens spécialisés en anthropologie et en sociologie (plutôt qu'en linguistique), que nous devrons nous-mêmes former.»

 

À l'Office de la langue française, le porte-parole nous dit qu'il n'y a aucun problème. Côté recrutement, tout baigne.

Petit coup de fil à Marc Termote, membre du comité de suivi de la situation linguistique pour l'Office, aux côtés de Monica Heller, professeure à l'Université de Toronto, Jean-Pierre Corbeil, de Statistique Canada, et Jean Renaud, de l'Université de Montréal.

Selon M. Termote, il a fallu plusieurs mois pour trouver un nouveau directeur de recherche à l'Office. À sa connaissance, les difficultés de recrutement s'expliqueraient par le fait qu'on avait affiché au départ un poste de coordonnateur, avec des responsabilités égales à celles d'un directeur, mais sans le salaire qui y serait associé.

L'Office de la langue française a traversé des moments difficiles en 2008. L'organisme de surveillance de la langue a été accusé de censurer des chercheurs et d'être à la solde du gouvernement, qui doit approuver ses études.

L'absence de conclusion générale au bilan quinquennal de l'Office a fait couler beaucoup d'encre, tout comme la sortie dans les journaux des membres du comité de suivi d'alors.

En avril 2008, devant la commission parlementaire de la culture, la présidente de l'Office de la langue française, France Boucher, n'avait rien caché du climat: «On va nettoyer, comme on dit en bon québécois, la soue. (...) On a eu à gérer chez nous la gestion de personnel.»

France Boucher n'a pas voulu accorder d'entrevue sur ce ménage, sur la situation qui prévaut actuellement et sur les travaux en cours à l'Office.

Pour un Office indépendant

Pour Charles Castonguay qui, au coeur de la tourmente, siégeait au comité de suivi de l'Office, la «soue» ne pourra pas être nettoyée tant que l'Office de la langue française n'aura pas pleine latitude face au gouvernement.

Pour lui, il est inconcevable que le président de l'Office soit nommé par le parti au pouvoir. «À Ottawa, le commissaire aux langues officielles n'est pas nommé par le Parti conservateur ou par le premier ministre. Il relève de la Chambre des communes.»

Pour M. Castonguay, tant que cette situation ne sera pas assainie, l'Office sera paralysé et risquera d'avoir comme mandat, comme c'est le cas à l'heure actuelle à son avis, «de ne surtout pas brasser la cage».

Charles Castonguay compte parmi les chercheurs que nous avons joints et qui disent ne plus souhaiter travailler pour l'Office. Ce qui n'aide en rien, c'est que les universitaires qui s'éloignent de ce sujet le font au moment où la relève est rare.

Les jeunes s'intéressent davantage aux questions internationales et les universités n'ont pas d'argent. «À l'Université de Montréal, au département de démographie, trois professeurs sont partis à la retraite et aucun n'a été remplacé. Dans un si petit département, ça fait mal», dit Marc Termote.

«Les programmes de linguistique disparaissent un à un», souligne pour sa part Conrad Ouellon, du Conseil de la langue française.

«La relève n'est pas au rendez-vous, constate aussi Simon Langlois, professeur de sociologie à l'Université Laval. On constate que les jeunes s'intéressent moins aux questions liées à la langue, un enjeu qui a été très politisé.»