L'automne venu, plusieurs jeunes se trouvent un boulot bien plus payant que de travailler dans une épicerie ou un restaurant. Ils «triment» les récoltes de marijuana qui se retrouveront bientôt dans les poches des consommateurs.

Karine (nom fictif) a un appartement à Montréal, une voiture et elle se paie régulièrement des voyages dans le Sud. Tout ça, la jeune femme de 20 ans l'obtient grâce à un gagne-pain peu ordinaire. «Trimer» est l'action de séparer les «cocottes» qui se fument du tronc et des feuilles d'un plan de cannabis.

Depuis l'âge de 13 ans, elle travaille dans une serre sur la Rive-Sud. «J'ai acheté mon premier scooter avec cet argent, dit Karine. À l'époque, je faisais 13$ l'heure. J'en fais maintenant 20$. À mon âge, c'était le seul travail que je pouvais me trouver à la campagne.»

Selon le caporal Jacques Bordeleau, du service de sensibilisation aux drogues et au crime organisé, le phénomène est bien connu. «Il y a des mesures qui sont prises pour les arrêter. S'ils sont pris sur le fait, les trimeurs sont accusés de trafic de stupéfiants.»

«Gelée avec les vapeurs»

Les propriétaires de la serre font pousser du cannabis à l'extérieur et à l'intérieur. En trois semaines de «trime», ils produisent jusqu'à 40 lb (environ 23 kg) de cocottes, selon Karine. «L'automne, ça n'arrête pas! Je suis gelée juste avec les vapeurs. Je sors de là avec les yeux rouges.»

Karine soutient qu'il y a peu de risques à pratiquer ce travail inusité. «Je n'ai jamais eu peur. Mais avec le temps, c'est devenu vraiment gros. Il y a des caméras partout sur le terrain. S'il y a quelque chose qui nous pousse à nous enfuir, il y a une sortie d'urgence. On a tous un alibi, quelque chose à faire sur le terrain.»

Le professionnel

Ryan se considère comme un professionnel de la «trime». Durant les quatre dernières années, il affirme avoir travaillé dans 10 à 15 serres différentes autour de Montréal.

«C'est comme avoir un boulot dans une manufacture, sauf que tu fumes tout le temps! blague-t-il. La nourriture, la bière et le pot sont à volonté. Avec ce salaire, il faut travailler vite et je suis un des plus rapides.»

Sa pire expérience en carrière a été pour les motards. Avant de se rendre à la serre, on lui avait bandé les yeux. Il ne savait absolument pas où il se trouvait. Mais l'opération était payante. «Normalement, je trime 10 à 15 plants de l'heure. Avec eux, les plants étaient tellement gros que j'en faisais deux ou trois, mais ils me payaient 10$ le plant.»

Ses employeurs lui donnaient des amphétamines ou de la cocaïne pour qu'il puisse travailler plus vite et plus longtemps. «J'ai fait trois speeds en 72 heures. Je n'avais jamais pris ça avant. À la fin, je voyais tout blanc.»

Le pire des boulots

Pendant plusieurs années, Thomas, un musicien dans la vingtaine, arrondissait lui aussi ses fins de mois grâce à la «trime». Les employeurs de Thomas étaient membres de la mafia italienne. On lui bandait aussi les yeux avant de le faire monter dans le véhicule qui le menait à la plantation.

Thomas affirme que c'est le pire travail qu'il ait jamais eu. «On n'a jamais de pause et on ne fait que dormir et travailler. On fume joint après joint. La nourriture est mauvaise. Quand on est chanceux, on a une lasagne surgelée. Mais généralement, ce sont des «grilled-cheese».

Son «contrat» durait généralement deux semaines. «C'est long et plate, explique-t-il. On travaille environ 15 heures par jour pendant deux semaines. Tout le monde est gelé et les patrons sont rarement des enfants de choeur. Mais ça vaut la peine: je sortais du bois avec environ 2000$ dans mes poches.»

Il a toutefois décidé de se mettre à son compte et de faire pousser ses propres plants.