Pour 72% des Québécois, le rapport Bouchard-Taylor n'a rien clarifié du tout.

Même les 18 à 35 ans, dont on dit qu'ils sont généralement plus ouverts, s'opposent à tout accommodement même si c'est à un degré un peu moindre. Seule exception: va pour le médecin de son propre sexe.

Pas possible non plus de mettre ce repli sur le compte des gens des régions que l'on taxe souvent de fermeture aux autres cultures. Que l'on soit de Montréal ou des régions, on s'oppose aux accommodements dans des proportions très semblables.

 

Daniel Weinstock, directeur du Centre de recherche en éthique de l'Université de Montréal, ne s'étonne pas que le rapport Bouchard-Taylor n'ait rien changé. «Le rapport a été enterré. En le publiant à la fin mai (2008), juste avant les vacances, déjà, on le condamnait à l'oubli.»

La commission Bouchard-Taylor est née de l'absence de leadership politique, et le rapport qui en a résulté est tombé dans l'oubli pour la même raison, croit Marie McAndrew, titulaire de la chaire en relations ethniques à l'Université Montréal. Pour qu'il en soit autrement, il aurait fallu, croit-elle, que le gouvernement Charest se lève aussi bien pour dire non à certains accommodements exagérés que pour réaffirmer par ailleurs que certains droits sont inviolables dans un pays démocratique comme le nôtre.

Non seulement y a-t-il manque de leadership politique, mais il y a en plus confusion dans les concepts, poursuit Mme McAndrew, qui a sursauté en entendant la ministre Christine St-Pierre dire qu'on ne peut pas faire une hiérarchie de droits. «Ce qu'il aurait surtout fallu dire (dans la foulée de la reprise du débat sur la SAAQ), c'est que le respect des droits des uns ne peut pas passer par la violation du droit des autres.»

Autre maladresse du gouvernement, selon Mme McAndrew: le «contrat de citoyenneté» imposé aux immigrants qui doivent promettre d'adhérer aux valeurs du Québec. «Ça, c'est envoyer le signal que les immigrants sont du genre à demander plein d'accommodements, alors que dans le fond, c'est bien plus souvent affaire de communautés implantées ici depuis plus de 100 ans, comme les juifs hassidiques, et qui n'ont rien de particulier contre les Québécois, mais qui vivent tout aussi en marge de leur société en Israël.»

Ce qui est sûr, croit pour sa part la sociologue Annick Germain, professeure et chercheuse à l'Institut national de la recherche scientifique, c'est qu'«on ne peut pas en rester là, nulle part», pas plus qu'il faut espérer qu'une loi, un règlement ou une seule instance suprême vienne tout régler d'un coup. «Les milieux les plus concernés ont déjà beaucoup défriché le terrain. Les ministères de l'Éducation et de la Santé ont déjà regardé ça de très près. À partir de là, chaque question doit être remise dans son contexte. On ne peut pas mettre sur le même pied un examen gynécologique et un examen de conduite.»

Ayant été impliqué de près dans le rapport Proulx qui a fait sortir la catéchèse des écoles, Daniel Weinstock est bien conscient que les grands virages ne peuvent pas se négocier en quelques mois. S'il a fallu 10 ans aux gens pour qu'ils acceptent que l'école n'est pas un lieu d'évangélisation, sans doute faudra-t-il encore quelques années avant qu'ils intègrent l'idée que certains accommodements ne font pas bien mal, croit-il.

Il faut laisser l'idée faire son chemin, mais une certaine préparation de terrain serait à faire, conclut Mme Germain. «On ne peut pas avoir une politique qui mise sur des cibles toujours plus élevées d'immigration tout en ne faisant à peu près rien pour préparer les opinions.»