Sylvain* s'est marié à 26 ans. Amoureux, il a eu un enfant avec celle qu'il imaginait aimer toute sa vie. Puis, au fil des ans, la réalité l'a rattrapé. Jusqu'à ce qu'il n'ait plus le choix. «Je suis attiré par les hommes», a-t-il soufflé un soir à une femme bouleversée.

«J'ai vraiment essayé. Je ne voulais pas être un homosexuel», explique-t-il une vingtaine d'années plus tard. Le gestionnaire et artiste peintre relate cette période houleuse de sa vie avec sérénité.

Fils d'un père militaire, il a été élevé «comme un vrai gars», raconte-t-il. Inscrit au hockey l'hiver et au baseball l'été, il fait ce qu'on attend de lui. Adolescent dans les années 70, il séduit les filles avec ses yeux bleus, ses cheveux blonds et son corps d'athlète.

Malgré tout, il lui arrive parfois d'être attiré par des hommes. Mal à l'aise, il se confie à un intervenant de l'école. Il n'obtient alors qu'un titre de livre dans lequel il apprend qu'il est normal d'éprouver des sentiments contradictoires à l'adolescence. «Ça rentrera dans l'ordre», se dit-il.

Il met ses fantasmes en sourdine, et vit plusieurs relations hétérosexuelles. À 25 ans, il tombe amoureux fou d'une femme qu'il mariera peu de temps après. La vie qu'il mène le comble, et il ne pense que très peu aux hommes.

«J'étais heureux. On voyageait, on sortait, on invitait des amis à la maison, on faisait l'amour. On faisait ce que tous les amoureux font», se remémore-t-il.

Naturellement, l'idée de faire un enfant s'impose. Confronté à des problèmes de fertilité, le couple connaît toutefois ses premiers moments difficiles. «Ces problèmes à faire un bébé ont commencé à miner notre couple. Et là, les fantasmes sont revenus. J'ai recommencé à penser à des hommes», confie-t-il.

Un jour, cependant, sa femme lui annonce qu'elle est enceinte. Soulagé, il espère alors que la passion renaîtra au sein de son couple et que ses idées homosexuelles le quitteront.

C'était sans compter les nuits blanches et les problèmes de santé de sa fille qui, dès sa naissance, monopolisent l'attention de sa femme.

Le couple va de mal en pis pendant les années qui suivent, jusqu'à ce que Sylvain admette ses idées homosexuelles.

Peu de temps après, le couple se sépare. Choquée, la femme refuse quelques semaines que Sylvain garde sa fille. «Elle avait peur que j'abuse d'elle», dit-il. Deux mois après la séparation, elle consent toutefois à ce qu'il ait des contacts réguliers avec sa fille.

Du fantasme à la réalité

Pendant les mois qui suivent, Sylvain entreprend une relation... avec une autre femme. «Je persistais! s'exclame-t-il. Je me disais : j'ai été capable une fois, j'ai été heureux! Je peux encore... Je voulais être hétérosexuel.»

L'idylle se termine rapidement, les amants n'éprouvant l'un pour l'autre qu'une amitié platonique.

À 33 ans, Sylvain est libre. «Juste pour voir», un soir, il fréquente un bar gai de Montréal. Il y rencontre un homme avec qui il a sa première aventure homosexuelle.

«Je me suis levé le lendemain, et là, d'un seul coup, j'ai réalisé que mes fantasmes s'étaient réalisés, raconte-t-il. J'ai éprouvé pour cet homme-là les mêmes sentiments que j'avais déjà éprouvés pour des femmes. J'étais tout mêlé. Tellement que je l'ai jeté dehors.»

Bouleversé, il refuse de croire qu'il peut être à la fois père et homosexuel. «Je me suis promené dans ma Golf bleue pendant des heures et des heures, dit-il. Je cherchais un mur dans lequel foncer.»

En profonde détresse, il frappe à la porte de l'Association des pères gais de Montréal. «Je leur ai dit que je me sentais seul. Je ne pouvais pas concevoir d'élever ma fille en étant homosexuel, explique-t-il. Ils m'ont dit d'attacher ma tuque, parce que de l'autre côté de la porte, il y en avait une quarantaine dans la même situation que moi.»

Les rencontres à l'Association l'aident à accepter ce qu'il ressent. Ce n'est toutefois que lorsque sa fille a 8 ans qu'il lui admet son homosexualité.

«Elle m'a dit qu'elle le savait déjà, s'étonne-t-il encore. Pas parce que sa mère lui avait dit. Elle avait seulement remarqué que chez papa, il y avait beaucoup de copains quand je donnais des fêtes. Plus de copains que de copines, en tout cas!»

Peu de temps après, il déménage avec son amoureux, et vit pleinement sa «nouvelle vie». Simultanément, il développe une relation privilégiée avec sa fille. Jamais, à sa connaissance, elle n'a essuyé les moqueries qu'il a tant redoutées.

Éprouve-t-il des regrets? «Non, tranche-t-il. La personne que j'aime le plus au monde me vient de ma vie hétéro. Et puis, je vais être grand-père dans quelques mois! La seule chose, peut-être, c'est que je suis désolé pour la mère de ma fille. J'ai longtemps cru que j'avais gâché sa vie. Mais aujourd'hui, je comprends que même si j'étais resté auprès d'elle jusqu'à la fin de mes jours, je n'aurais jamais pu la rendre heureuse.»*Afin de préserver l'anonymat de son ex-femme, Sylvain a demandé à ce que nous n'écrivions que son prénom.