La nouvelle escouade anticorruption, annoncée officiellement hier, va tenter d'éclaircir un mystère qui hante bien des Québécois depuis des années : pourquoi les entrepreneurs réussissent-ils à obtenir beaucoup plus d'argent pour asphalter une route ou une rue au Québec que dans le reste du Canada ?

De source sûre, La Presse a appris que l'escouade va s'intéresser particulièrement à l'un des plus importants entrepreneurs en travaux publics, actif surtout à Montréal, à Laval et dans les Basses-Laurentides. Et encore plus précisément à deux ouvrages routiers que son entreprise réalise et a réalisés. L'un d'eux a été financé par le ministère des Transports et la Ville de Montréal. Ses coûts ont explosé, passant du simple au double.

 

Des données issues d'une vaste étude de Transports Canada ont montré il y a deux ans que la construction d'une chaussée d'autoroute urbaine à deux voies coûte 790 000 $ le kilomètre au Québec, soit 50 % de plus que la moyenne canadienne (d'environ 527 000 $ le kilomètre). L'écart avec l'Ontario est moins important, mais quand même significatif, avec une différence de 20 %.

La Sûreté du Québec a en main une déclaration sous serment qu'un fonctionnaire du ministère des Transports a signée après avoir rencontré un entrepreneur qui faisait partie d'un «club» formé par une douzaine d'entreprises de travaux publics.

L'entrepreneur avait confié à ce fonctionnaire que les membres du club se partageaient les contrats. En apparence, les contrats étaient donnés aux plus bas soumissionnaires à la suite d'appels d'offres. En vérité, les entreprises se concertaient pour déterminer, à tour de rôle, qui remettrait la soumission la plus basse... laquelle était toujours plus élevée que les coûts réels.

D'autres sources parlent du «Fab-fourteen», ou «Fabulous-14», un groupe d'entreprises qui chercheraient à se partager de grands contrats. Le Bureau de la concurrence du Canada a fait des enquêtes à ce sujet dans des municipalités du Québec, mais sans aboutir.

Surveillance

La SQ pourrait avoir plus de moyens de surveillance, notamment grâce à l'écoute électronique et à son réseau d'informateurs, dont certains frayent avec les milieux criminels. Des entrepreneurs ont déjà été filmés ou photographiés avec des membres de la mafia. Des enquêteurs se demandent si la mafia n'exige pas une commission sur leurs profits. Un entrepreneur qui a d'importants contrats avec la Ville de Montréal a été battu au début de l'été. Un dirigeant d'une autre entreprise de travaux publics a été tabassé à son tour, la semaine dernière.

Le succès ou l'échec de la nouvelle escouade aura un grand impact, non seulement à Montréal, mais à la grandeur du Québec. Cette année, le MTQ va accorder environ 1800 contrats, dont le total variera de 2 à 2,5 milliards de dollars. Une surfacturation de 20 % signifierait que les Québécois payent des centaines de millions de dollars de trop, chaque année, pour leurs infrastructures, qu'il s'agisse des routes, des conduites d'eau et d'égouts, des tunnels de métro ou des bâtiments publics.

La nouvelle escouade cherchera à savoir si les entreprises appartenant au «Fab-14» versent illégalement de l'argent comptant aux caisses occultes de partis politiques, ou carrément à des élus ou à des fonctionnaires, parfois par l'entremise de firmes d'ingénieurs, afin que tous ferment les yeux sur un système répandu de surfacturation.

«Les policiers de la SQ (attachés à la nouvelle escouade) auront pour mandat spécifique d'enquêter sur des questions de corruption et de malversation, a indiqué le ministre de la Sécurité publique, Jacques Dupuis, au cours d'une conférence de presse, hier. Ils s'adjoindront un certain nombre de personnes qui sont des gens des renseignements criminels, qui sont aussi des gens de certains ministères, notamment du ministère des Transports. Les raisons sont évidentes : il y a beaucoup de contrats qui sont actuellement octroyés en matière d'infrastructures. On veut surveiller ça de très près.»

Des experts du ministère des Affaires municipales et du ministère du Revenu appuieront aussi l'escouade, laquelle sera composée de 17 policiers et de trois procureurs, a ajouté le ministre. L'escouade fera partie de la division des crimes économiques de la SQ.

«Nous ne pouvons pas accepter comme société que des gens s'enrichissent illégalement, que ce soit par la corruption, la malversation ou les fraudes fiscales, a dit M. Dupuis. Le message que nous tenons aujourd'hui à la population du Québec est celui-ci : nous sommes là pour protéger l'intégrité de la société. Notre message aux bandits est celui-ci : on est sur votre dos. Nous intensifions ces luttes-là.»