Après 10 ans de démêlés avec la justice canadienne, c'est dans une petite cellule de prison qu'a atterri l'homme d'affaires Karlheinz Schreiber, hier, dès son arrivée en Allemagne, après avoir perdu sa dernière bataille pour éviter son extradition.

L'avion qui le ramenait du Canada vers son pays d'origine s'est posé en matinée à l'aéroport de Munich, d'où il a aussitôt été transporté dans un centre de détention d'Augsbourg, en Bavière. Accusé de corruption, de fraude et d'évasion fiscale, il devrait comparaître dès ce matin devant un juge, qui décidera s'il restera en prison.

 

Dimanche, la cour supérieure de l'Ontario, dans une audience extraordinaire, a rejeté la dernière tentative de l'homme d'affaires de 75 ans d'échapper à son renvoi en Allemagne. Sous le coup d'un mandat d'arrêt allemand depuis 1999, il avait réussi tout ce temps à éviter l'extradition en jouant d'astuces.

Les autorités allemandes le soupçonnent notamment d'avoir trempé, dans les années 90, dans un important scandale financier impliquant l'Union chrétienne-démocrate, le parti de l'actuelle chancelière Angela Merkel.

Mais au Canada, M. Schreiber est davantage connu pour son rôle dans la controverse impliquant l'ancien premier ministre Brian Mulroney, qui a admis avoir reçu de lui 225 000$ comptant.

Dans les derniers mois, c'est d'ailleurs la commission d'enquête sur ces transactions financières qui a permis à M. Schreiber d'éviter son renvoi en Allemagne.

Le juge Jeffrey Oliphant, qui préside les travaux de cette commission, avait exigé qu'il reste au pays pour la durée des audiences, qui se sont terminées mardi dernier.

Mais l'homme d'affaires ne s'attendait pas à être renvoyé si vite en Allemagne. La semaine dernière, au milieu de la dernière journée d'audience de la commission, il avait déclaré aux journalistes qu'il ne sentait pas l'urgence de préparer sa valise et qu'il pensait rester au Canada encore longtemps.

Lorsqu'on lui a demandé s'il prévoyait se retrouver d'ici quelques jours dans un avion pour l'Allemagne, il avait répondu, optimiste: «Cette possibilité n'existe pas.»

Quelques jours plus tard, vendredi, le ministère de la Justice a sommé M. Schreiber de se rendre aux autorités afin d'être extradé dans les 48 heures suivantes.

Sur les ondes de CTV, l'expert en extradition Gary Botting, qui conseillait les avocats de M. Schreiber, a qualifié hier de «parodie de justice» le procédé par lequel M. Schreiber a été renvoyé dans son pays d'origine. Il a reçu les papiers confirmant son extradition après 17h un vendredi, à la veille d'un long congé en Ontario.

Joint par téléphone à Vancouver, le chef du Nouveau Parti démocratique, Jack Layton, a estimé que les circonstances entourant le départ de M. Schreiber étaient pour le moins «bizarres».

«On espère que ce ne sont pas des considérations politiques qui ont motivé le choix du moment, a souligné M. Layton. Ça soulève des questionnements, que ça se soit passé pendant la fin de semaine.»

«Il y a des considérations politiques aux deux bouts», a ajouté le chef du NPD, en allusion aux élections législatives allemandes qui auront lieu en septembre et à la possibilité d'une campagne électorale au Canada à l'automne.

Au cabinet du ministre de la Justice, Rob Nicholson, on s'est refusé à tout commentaire sur le processus expéditif qui a conduit au départ de l'homme d'affaires. Dimanche en soirée, M. Nicholson avait publié ce qui suit par communiqué: «Au cours d'une période de 10 ans, M. Schreiber s'est vu accorder toutes les occasions raisonnables de contester son extradition. Son extradition vers l'Allemagne est tout à fait conforme à la loi et à l'esprit et à l'objet de l'extradition.»