Les fouilles à nu virtuelles testées il y a quelques mois à l'aéroport de Kelowna étaient plus lentes que le processus normal, révèle le rapport d'une firme externe, Intervistas, commandé par l'Administration canadienne de la sûreté du transport aérien (ACSTA) et que La Presse a obtenu en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

Cette constatation contredit les prétentions du fabricant de ces scanneurs à ondes millimétriques, qui permettent de voir sous les vêtements des passagers et que le gouvernement a testés de décembre à janvier dernier à l'aéroport de Colombie-Britannique.

 

Sur son site web, L-3 Communications soutient que sa machine, le ProTech Integrated Checkpoint System, augmente la rapidité et l'efficacité de la détection. Or, une analyse faite sur une période d'une semaine par la firme de consultants en matière de transports semble plutôt démontrer le contraire. En effet, le scanneur à ondes millimétriques prenait en moyenne 16 secondes de plus que le processus normal pour fouiller chaque passager, et 35 secondes pour chaque valise ou bagage.

«Le besoin de fournir plus d'instructions à l'utilisateur peut avoir prolongé le temps moyen pour procéder», ont noté les auteurs du rapport.

Quant à l'efficacité, les opinions des passagers et même des agents de fouilles étaient partagées. Une majorité des agents estiment que l'appareil permet une meilleure détection; plusieurs ont toutefois déploré la difficulté qu'ils ont eue à l'utiliser et certains, la lenteur du processus.

Controversé

L'ACSTA a annoncé en mai dernier son intention d'acheter sept de ces machines, au coût de 200 000$ chacune, et de les installer dans sept aéroports canadiens d'ici l'an prochain. «Les tests que nous avons menés à Kelowna se sont révélés très concluants», avait alors déclaré le vice-président à l'exploitation de l'agence, Yves Duguay.

Ces scanneurs ressemblent à une cabine d'ascenseur, dans laquelle le passager entre et est balayé par des ondes millimétriques (apparemment sans danger pour la santé). L'image de son corps nu en trois dimensions et de ce qui est dissimulé sous ses vêtements est alors reproduite sur un écran. Cette image ressemble à une radiographie.

Jusqu'ici, à peu près partout où ils ont été installés dans le monde, ces appareils ont été dénoncés par les défenseurs du droit à la vie privée. Un moratoire sur son implantation à grande échelle a même été décrété par le Parlement européen, l'automne dernier.

Un sondage auprès de 490 passagers qui sont passés par les points de contrôle de Kelowna démontre que les avis sont également partagés sur cette question. Seulement 10% de ceux qui l'ont essayé ont dit avoir des préoccupations sur le plan de leur vie privée. La grande majorité s'est aussi dite satisfaite de ce que les images dévoilent de leur intimité.

En revanche, parmi ceux qui ont opté pour les points de contrôle «traditionnels», 25% ont attribué leur choix à des raisons de vie privée et 20% à des inquiétudes sur le plan de leur santé; 14% trouvaient le processus trop lent et 14% encore ont jugé le niveau de sécurité tout simplement inutile.

Questions en suspens

Selon des spécialistes consultés par La Presse, le document laisse bien des questions en suspens. La Commissaire à la vie privée, Jennifer Stoddart, entend les poser dès qu'elle aura consulté L'évaluation d'impact sur la vie privée, que l'ACSTA doit lui remettre bientôt.

Elle souhaite entre autres savoir si ces appareils seront utilisés pour des fouilles de première ligne, ou seulement pour des fouilles secondaires, par exemple comme option aux fouilles tactiles lorsque les contrôles habituels détectent quelque chose d'anormal.

«Nous avons reçu une copie du rapport et nous avons des questions, a résumé la porte-parole du commissariat, Anne-Marie Hayden. Est-ce qu'ils ont reçu les résultats qu'ils voulaient? Sinon, pourquoi vouloir continuer? Des choses comme cela.»

La spécialiste en sondages Claire Durand, professeure de sociologie à l'Université de Montréal, juge quant à elle que l'étude d'Intervistas ne représente pas une enquête en bonne et due forme sur l'opinion de l'ensemble des Canadiens. Elle recommande à l'ACSTA de pousser ses consultations davantage.

«Ils ont fait une enquête de base, mais il reste des problèmes méthodologiques», a-t-elle noté. Selon elle, le rapport soulève plusieurs questions au chapitre de l'échantillonnage et du chronométrage, entre autres.

«Quant à déterminer si, par exemple, on pourrait instaurer ça dans tous les aéroports sans qu'il y ait de problème, je ne me baserais certainement pas sur cette étude-là», a-t-elle dit.

Le sondage a été mené sur place en décembre 2008, auprès de 485 passagers, dont 76% étaient passés par le scanneur à ondes millimétriques, et seulement 16% par les contrôles habituels. Un tel échantillon est précis à 4,45 points de pourcentage près, 19 fois sur 20.

Avec la collaboration de William Leclerc