Le Montréalais Abousfian Abdelrazik rentrera au Canada samedi après six ans d'exil forcé dans son pays d'origine, le Soudan, où il a été détenu parce qu'on le soupçonnait d'être lié au réseau Al-Qaïda. Il vivait dans l'entrée de l'ambassade canadienne à Khartoum depuis 13 mois parce qu'il craignait pour sa sécurité.

L'un de ses avocats, Yavar Hameed, s'envole mercredi pour la capitale soudanaise, dont il doit revenir avec son client dans quelques jours. Il a précisé que le gouvernement du Canada lui avait fourni l'assurance que son client aurait les documents de voyage nécessaires pour son vol de retour.

Il a ajouté que le billet de M. Abdelrazik avait été entièrement payé par l'Etat, qui a aussi fait les réservations. Les détails de l'itinéraire demeurent confidentiels. Tout ce qu'on sait, c'est que les deux hommes seront escortés par un responsable du ministère des Affaires étrangères et deux agents de la Gendarmerie royale du Canada et qu'ils atterriront à Toronto le 27 juin à 16h45.

Me Hameed ne part cependant pas l'esprit en paix. Il craint en effet des pépins de dernière minute. Sa peur a notamment été alimentée par la visite d'un responsable américain à l'ambassade du Canada au Soudan, mercredi matin.

Il regrette aussi que les Affaires étrangères aient refusé de lui fournir des garanties que son client ne serait pas intercepté pendant le long voyage qui le mènera de l'Afrique au Canada.

L'avocat se dit néanmoins «plus optimiste» qu'il ne l'a jamais été depuis le début de cette affaire. «J'espère que le gouvernement fera exactement ce qu'il a dit qu'il ferait, c'est-à-dire le ramener», a-t-il déclaré lors d'un point de presse à l'aéroport d'Ottawa.

D'après Me Hameed, Abousfian Abdelrazik a très hâte de revoir ses enfants, dont il est séparé depuis 2003. Son avenir demeure cependant très incertain. Son nom figure en effet toujours sur la liste d'interdiction de vol de l'Organisation des Nations unies.

En pratique, cela signifie que ses actifs sont gelés et qu'il lui est interdit de recevoir des dons ou de chercher un emploi. Il doit en outre environ 8000 $ au gouvernement canadien, pour couvrir les frais de son séjour à l'ambassade.

Son avocat et ceux qui l'appuient promettent de consacrer les prochains mois à régulariser sa situation et à rétablir sa réputation. «Il faudra enlever son nom de cette liste pour qu'il puisse vivre», a insisté Me Hameed.

Pour la suite, l'avocat n'écarte pas une poursuite contre le gouvernement fédéral, pour obtenir un dédommagement. Les organismes qui appuient M. Abdelrazik estiment d'ailleurs que seuls les tribunaux - et peut-être une enquête publique - permettront de faire la lumière sur cette histoire qui rappelle celles de Maher Arar et d'autres musulmans canadiens victimes d'abus aux mains d'autorités étrangères depuis le début de la «Guerre contre le terrorisme».

«On ne se trouve pas ici devant un cas isolé. On observe une série de violations des droits humains à laquelle il faut s'attaquer», a fait valoir Hilary Homes, d'Amnistie internationale Canada.

Le député néo-démocrate Paul Dewar, qui assistait au point de presse à l'aéroport d'Ottawa, prévoit pour sa part soulever la question au parlement dès la rentrée, en septembre. A son avis, il faudra un «processus formel» pour faire la lumière sur cette affaire à laquelle les États-Unis, la GRC et les services de renseignement sont mêlés.

«Ce ne sont pas des questions qu'on peut éluder. Le Gouvernement du Canada ne peut pas hausser les épaules et passer à autre chose», a-t-il souligné.

Pour l'instant, M. Dewar préfère se réjouir du rapatriement imminent de M. Abdelrazik, que sa formation politique et les autres partis de l'opposition demandent depuis des mois.

Il a fallu une décision sans équivoque de la Cour fédérale pour convaincre les conservateurs d'exaucer leurs voeux. Dans un jugement rendu au début du mois, le juge Russel Zinn reprochait au gouvernement d'avoir brimé les droits constitutionnels de M. Abdelrazik en lui refusant un passeport.

Le magistrat avait ordonné à l'Etat de l'aider à rentrer au pays dans les 30 jours.

Abousfian Abdelrazik a été arrêté pour la première fois dans son pays d'origine en 2003, alors qu'il était de passage pour voir sa mère. Il a été détenu et affirme avoir été interrogé par le FBI américain ainsi que par des agents canadiens. Il dit en outre avoir été torturé en prison.

Il a finalement été relâché. La GRC l'a blanchi et soutient n'avoir aucune preuve qu'il est impliqué dans des activités criminelles.