Le gouvernement de Stephen Harper subit un nouveau revers en Cour fédérale: le tribunal lui ordonne de prendre les mesures nécessaires pour faire revenir au pays Abousfian Abdelrazik, citoyen canadien réfugié depuis un an à l'ambassade du Canada à Khartoum, au Soudan.

Dans une décision rendue hier matin, le juge Russel W. Zinn somme le ministre des Affaires étrangères d'octroyer à M. Abdelrazik le passeport d'urgence qui lui permettra de rentrer au pays, comme le demandent ses avocats depuis des mois.

Le juge estime que le droit de ce citoyen d'entrer au Canada a été brimé. L'article 6 (1) de la Charte prévoit en effet que «tout citoyen canadien a le droit de demeurer au Canada, d'y entrer ou d'en sortir».

Le gouvernement doit faire les arrangements nécessaires pour assurer le retour, sans entrave, de M. Abdelrazik au pays d'ici 30 jours, stipule le jugement. Le juge Zinn cite le ressortissant canadien à comparaître en Cour fédérale, à Montréal, le 7 juillet.

Le ministre des Affaires étrangères, Lawrence Cannon, a toujours refusé de rapatrier le Montréalais d'origine soudanaise, alléguant qu'il figure sur une liste d'interdiction de vol des Nations unies. Le juge a rejeté l'argument du gouvernement.

En visite au Soudan en 2003, M. Abdelrazik a été arrêté et emprisonné, soupçonné d'entretenir des liens avec Al-Qaeda. Mais la Gendarmerie royale du Canada et le Service canadien du renseignement de sécurité l'ont par la suite blanchi, affirmant n'avoir rien à lui reprocher. En avril 2008, il s'est réfugié à l'ambassade canadienne à Khartoum, de peur d'être arrêté par les autorités soudanaises, n'ayant ni statut ni permis de travail dans ce pays.

Le député néo-démocrate Paul Dewar, qui tente depuis plusieurs mois de forcer le gouvernement à rapatrier le Canadien coincé au Soudan, s'est réjoui de la décision du tribunal, mais craint que le gouvernement ne veuille interjeter appel.

«C'est une bonne journée pour la justice canadienne et M. Abdelrazik, mais seulement si le gouvernement se conforme au jugement. S'il en appelle de la décision, ça impliquera des coûts importants pour les contribuables, sans raison valable sur le plan de la justice. En appeler irait à l'encontre de la loi, des valeurs canadiennes et équivaudrait à discréditer la Charte», a dit M. Dewar, en entrevue téléphonique de Beyrouth, où il participe à une mission d'observation électorale.

Au bureau du ministre Cannon, on s'est fait avare de commentaires à propos de ce jugement. «Le gouvernement étudie présentement la décision», s'est contenté de répondre la porte-parole du ministre, Catherine Loubier.

En Chambre, c'est plutôt le ministre de la Justice, Rob Nicholson, qui a essuyé les tirs nombreux de l'opposition. «La décision fait plus de 100 pages et nous la lirons très attentivement au ministère de la Justice et nous déciderons par la suite des actions à prendre», a répété M. Nicholson. Le jugement fait en réalité 74 pages.

Son collègue ministre du Revenu, Jean-Pierre Blackburn, est toutefois allé un peu plus loin à la sortie de la période de questions. «Il n'y a pas de gouvernement qui soit au-dessus des lois, a dit M. Blackburn. Nous aussi, on doit respecter la loi. Cependant, on a le droit aussi de regarder l'ensemble du processus judiciaire et de prendre nos décisions en lien avec cela.»

Troisième cause perdue

L'opposition a rapidement rappelé qu'il s'agit de la troisième cause concernant le sort de citoyens canadiens à l'étranger que le gouvernement perd en Cour fédérale cette année.

Le 23 avril, le juge James O'Reilly, de la Cour fédérale, a statué que le refus du gouvernement fédéral de rapatrier Omar Khadr, citoyen canadien emprisonné à Guantánamo, violait les droits du jeune prisonnier, arrêté en Afghanistan alors qu'il n'avait que 15 ans.

Ottawa a annoncé deux semaines plus tard, en catimini, qu'il en appelait de la décision de la Cour fédérale. Le ministre Cannon n'avait, dès la publication du jugement, laissé aucun doute sur son intention d'interjeter appel.

En mars, le même tribunal avait par ailleurs estimé qu'Ottawa se devait d'offrir un soutien consulaire à Ronald Allen Smith, détenu dans une prison du Montana depuis 25 ans, reconnu coupable d'un double meurtre en 1983.

«Ça démontre que ce gouvernement ne prend pas au sérieux l'État de droit, qu'il ne protège pas les droits des citoyens canadiens. Il force ses ressortissants à s'adresser aux tribunaux, c'est honteux, a estimé le critique libéral en matière d'affaires étrangères, Bob Rae. Les conservateurs ne respectent pas la charte des droits et libertés. C'est très troublant.»