Brian Mulroney affirme avoir «hésité» quand Karlheinz Schreiber lui a offert une enveloppe d'argent comptant de 75 000$ en août 1993 pour retenir ses services afin de promouvoir un projet de fabrication de véhicules blindés légers.

Mais l'ancien premier ministre n'a pas eu la même hésitation lorsque le controversé homme d'affaires germano-canadien lui a remis d'autres enveloppes d'argent comptant à l'occasion de deux rencontres subséquentes.

Au quatrième jour de son témoignage devant la commission Oliphant, vendredi, l'ancien premier ministre a raconté en détail la première rencontre qu'il a eue avec Karlheinz Schreiber après avoir quitté le pouvoir en juin 1993.

Cette rencontre d'une trentaine de minutes s'est déroulée dans un hôtel de Mirabel, à la demande de M. Schreiber, le 27 août 1993. M. Schreiber avait choisi ce lieu pour rencontrer M. Mulroney parce qu'il s'apprêtait à prendre un vol en direction de l'Allemagne.

M. Mulroney a indiqué qu'il n'avait pas encore de résidence permanente à Montréal et qu'il avait loué un chalet à l'Estérel, dans les Laurentides, dans l'intervalle. Mirabel se trouvait donc sur son chemin de retour à la maison.

Deux policiers accompagnaient M. Mulroney pour assurer sa sécurité, ce qui est chose courante pour un ancien premier ministre qui a quitté le pouvoir. Les agents n'étaient pas présents dans la pièce durant la rencontre.

«J'ai hésité (à accepter de l'argent comptant) parce que c'était ma première sortie depuis que j'avais quitté mes fonctions de premier ministre et c'était la première fois que cela m'arrivait. J'aurais dû lui dire que je serais prêt à lui offrir mes services, mais que j'avais besoin d'être payé par chèque. Malheureusement, je ne l'ai pas dit. C'est la genèse de mes problèmes d'aujourd'hui. C'est mon erreur», a dit M. Mulroney.

«Quand vous avez hésité, vous l'avez fait parce que c'était votre instinct», lui a alors demandé le procureur principal de la commission, Richard Wolson.

«J'ai hésité parce que j'ai certainement eu l'impression que c'était inhabituel», a répondu M. Mulroney.

Selon l'ancien premier ministre, Karlheinz Schreiber a alors affirmé: «Je suis un homme d'affaires international. Je transige uniquement en argent comptant.»

M. Mulroney a alors affirmé qu'il était courant, à cette époque, que des entreprises européennes tentent d'influencer des décisions des gouvernements en offrant des cadeaux.

«Il était connu que les entreprises européennes avaient une approche différente, en brassant des affaires à l'échelle internationale, que des entreprises nord-américaines. J'étais au courant, de manière générale, que les pratiques n'étaient pas identiques», a dit M. Mulroney.

Il a ajouté qu'aucun autre homme d'affaires d'envergure internationale ne lui avait remis de l'argent comptant comme l'a fait M. Schreiber à trois reprises dans trois hôtels différents, deux dans la région de Montréal et l'autre à New York.

Durant cette première rencontre à Mirabel, survenue un mois après que M. Mulroney eut démissionné de son poste de premier ministre, M. Schreiber a d'abord informé M. Mulroney qu'il avait retenu les services de l'avocat Ian Scott pour intenter une poursuite contre le gouvernement fédéral parce que le projet visant à construire une usine de construction de véhicules blindés légers au Cap-Breton, également connu sous le nom de Bear Head, avait échoué.

«Je lui ai dit qu'il avait le droit de le faire dans un pays démocratique comme le nôtre. À ce moment-là, je croyais que la rencontre serait de courte durée», a expliqué M. Mulroney.

Selon M. Mulroney, M. Schreiber lui a alors offert de promouvoir les intérêts de l'entreprise allemande Thyssen à l'étranger. Il lui a montré une brochure des produits de cette entreprise avant de lui remettre une enveloppe d'argent comptant.

M. Mulroney a indiqué avoir pris l'enveloppe dans ses mains et repris la route avec les policiers en direction de son chalet loué. Une fois rendu chez lui, il a compté les billets contenus dans l'enveloppe avant de les mettre dans un coffre-fort appartenant à sa femme Mila.

Selon M. Mulroney, M. Schreiber ne lui aurait pas donné d'instructions précises au sujet de son mandat durant la première rencontre, mais l'ancien premier ministre a dit avoir pris sur lui la tâche de tester l'intérêt des Nations unies et d'abord des cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU - la Chine, la Russie, la France, les États-Unis et la Grande-Bretagne - d'acheter des véhicules légers de Thyssen pour les missions de paix de l'ONU.

L'argent dans un coffre-fort

Quant aux deux autres rencontres qu'il a eues avec M. Schreiber - le 17 ou 18 décembre 1993 à l'hôtel Reine-Élizabeth à Montréal et le 8 décembre 1994 à l'hôtel Pierre à New York -, M. Mulroney a indiqué qu'il ne s'attendait pas à recevoir d'autres paiements. Il n'a pas cru bon à l'époque de déposer l'argent dans un compte en banque. Il a déposé la somme remise à Montréal dans le coffre-fort de sa résidence. La somme remise à New York a été déposée dans un coffre-fort dans cette ville.

Pourquoi n'a-t-il jamais déposé tout cet argent à la banque ? a demandé Richard Wolson. Brian Mulroney a indiqué que cela ne lui avait jamais effleuré l'esprit et qu'avec le recul, il s'agissait d'une erreur.

Les rencontres avec M. Schreiber ont été organisées par l'entremise de Fred Doucet, ancien proche collaborateur de M. Mulroney.

Plus tôt en matinée, M. Mulroney a indiqué avoir rencontré à deux reprises M. Schreiber durant son dernier mois au pouvoir à titre de premier ministre, en juin 1993.

Malgré tout, M. Mulroney a tenté de nouveau de minimiser les liens qu'il a eus avec M. Schreiber avant de quitter le pouvoir.

Jeudi, M. Mulroney a soutenu qu'il avait entretenu des « relations périphériques» avec cet ex-marchand d'armes international. Vendredi matin, il a utilisé cette même expression, mais en précisant qu'elle n'avait rien de condescendant.

Mais le procureur principal de la commission, Richard Wolson, s'est demandé comment M. Mulroney pouvait utiliser une telle description quand il avait pris le temps de rencontrer M. Schreiber à deux reprises en juin 1993 - le 3 juin à son bureau de la colline parlementaire et le 23 juin à la résidence d'été du premier ministre, deux jours avant son départ du pouvoir - alors qu'il s'apprêtait à quitter ses fonctions.

«Vous aviez un horaire très chargé en juin 1993, mais vous aviez réussi à garder du temps pour vos relations périphériques», a lancé M. Wolson. Des photos officielles ont d'ailleurs été prises à l'occasion de ces deux rencontres.

M. Mulroney a simplement acquiescé à cette remarque.