Le premier témoin de la Commission Oliphant, l'ancien ministre de la Défense sous Brian Mulroney, a déclaré que l'ex-premier ministre conservateur n'avait jamais exercé de pressions directes contre lui relativement au projet de véhicules blindés Bear Head.

Il a toutefois indiqué que le dossier avait créé à l'époque une certaine dissension au sein du conseil des ministres et que le bureau du premier ministre avait dû intervenir pour ramener l'harmonie. La commission d'enquête en est à sa première journée d'audiences, et deux témoins seront entendus lundi, et deux autres mardi. Les audiences reprendront ensuite dans la deuxième semaine d'avril.

William McKnight était à la tête du ministère de la Défense de janvier 1989 à avril 1991, soit au moment où Karlheinz Schreiber faisait un lobbying actif auprès du gouvernement fédéral pour établir une usine de ces véhicules blindés de la compagnie allemande Thyssen au Cap Breton, en Nouvelle-Écosse.

La Commission d'enquête tente de faire la lumière sur les centaines de milliers de dollars payés en argent comptant à M. Mulroney par le lobbyiste international germano-canadien dans des chambres d'hôtels de Montréal et de New York sur une période de 18 mois entre 1993 et 1994.

M. Schreiber contrôlait Bear Head Industries, une entreprise créée pour faire avancer la cause du projet Bear Head de blindés au Canada, pour le compte de Thyssen. Il affirme avoir engagé Brian Mulroney pour qu'il fasse avancer sa cause auprès de politiciens à Ottawa. Mais l'ancien premier ministre a déjà indiqué qu'il avait plutôt reçu l'argent pour faire des démarches pour la compagnie auprès de décideurs internationaux.

Le juge Goeffrey Oliphant doit répondre à une série de questions, incluant si M. Mulroney a contrevenu à des règles fédérales d'éthiques de 1984 à 1993, alors qu'il était premier ministre ou député - ce qui pourrait inclure de favoriser un projet précis pour des raisons pécuniaires.

«Le premier ministre ne vous a jamais posé de questions à propos de Bear Head, ou d'avoir une réunion concernant Bear Head? », a demandé le juge Oliphant au témoin.

- Par le premier ministre, non, a répondu M. Mcknight.

- Ou qui que ce soit au nom du premier ministre qui soit crédible? l'a relancé le commissaire.

- Une personne crédible... inclurait le chef de cabinet, a répondu m. McKnight, après une certaine hésitation. Je crois que j'ai été encouragé - comme peut-être mon collègue ministre M. MacKay a été encouragé, mais je ne peux pas parler pour lui - pour que nous nous rencontrions en tant que collègues, et que nous nous penchions sur cette affaire, pour que nous puissions continuer à vivre, et à fonctionner d'une manière collégiale.»

Ce chef de cabinet est Stanley Hart, un avocat originaire de Montréal qui a occupé l'important poste de 1989 à 1990.

Dans son témoignage, William McKnight a indiqué que le projet Bear Head avait créé une certaine dissension au sein du conseil des ministres. Ceux qui provenaient des provinces atlantiques, comme Elmer MacKay, le père de l'actuel ministre de la Défense, Peter MacKay, étaient clairement en faveur de la construction de cette usine.

Or, en tant que ministre de la Défense, M. McKnight l'était moins. Il a expliqué que les Forces armées canadiennes appréciaient leurs véhicules de marque GM, et qu'il aurait été difficile dans le contexte économique et politique mondial de l'époque de justifier un tel changement de fournisseur.

Lors d'une réunion, le 5 février 1990, sous-ministre de l'époque, Robert Fowler, a fait clairement savoir à des représentants du gouvernement et de l'entreprise que le ministère de la Défense ne comptait pas acheter de véhicules à l'entreprise allemande.

À la commission, M. McKnight s'est dit surpris, malgré cette intervention, que les efforts de lobbying aient continué, à tout le moins du côté de Bear Head Industries. «J'ai trouvé cela étrange. M. Fowler est une personne très agressive et articulée, a-t-il dit à propos de celui qui s'est récemment fait enlever au Niger.

«Je ne pense pas qu'il y ait eu un malentendu au terme de cette réunion.»

Le dossier n'en est pas resté là au gouvernement non plus. Dans une note d'information obtenue par CBC en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, le greffier du conseil privé de l'époque, Paul Tellier, informe le premier ministre Mulroney qu'à sa demande, il a rencontré Karlheinz Schreiber pour discuter de l'«l'initiative Thyssen». La note est datée du 12 juillet 1990, soit cinq mois après la fameuse rencontre.

Karlheinz Schreiber, qui est présent dans l'assistance au moment des audiences, n'a réagi que brièvement après le témoignage : il dit vouloir réserver ses commentaires pour après le témoignage de son ancien avocat, Marc Lalonde.

Il a néanmoins indiqué qu'à son avis, le témoignage prouvait au moins une chose : que le ministre ne décidait rien, et que les fonctionnaires décidaient à sa place.

Il faisait allusion entre autres à l'une des preuves soumises par les procureurs de la commission, et selon laquelle une lettre rédigée par les fonctionnaires de M. McKnight en son nom avait été transférée au bureau du premier ministre ou au Conseil privé pour commentaires.

«Ce n'est pas hors de l'ordinaire, mais dans ce cas-ci, c'est la première fois que l'on m'avise qu'il y a eu cette consultation.»

«Ce sont les bureaucrates qui prennent les décisions! s'est exclamé M. Schreiber. Ils se foutent des ministres.»