Rien ne laissait croire au caporal-chef Ismaël Fournier que les talibans allaient attaquer cette nuit-là.

C'était le 16 novembre 2007. Depuis la base d'opération avancée de Ma'sum Ghar située à une quarantaine de kilomètres à l'ouest de Kandahar, le déplacement était imposant : environ 150 soldats dans 23 véhicules.La compagnie s'est mise en marche vers 23 h 30. Le but : sécuriser un secteur dans les environs pour y installer un poste de police contrôlé par les Afghans. Installé dans la tourelle de son véhicule blindé léger (VBL III), Ismaël Fournier, 29 ans, était le chef d'un équipage de huit hommes.

Dans le serpentin de véhicules, son VBL III était en sixième place. Quinze minutes après le départ, celui-ci passe tout près d'un engin explosif improvisé qu'un insurgé actionne à courte distance. La détonation est terrible.

«Il n'y a pas de mots pour expliquer l'effet sonore, dit ce jeune homme de 29 ans. C'est comme un dragon, un tyrannosaure qui nous crie à bout portant à côté des oreilles, durant sept, huit secondes. La tourelle a été envahie de fumée noire. Des centaines de tisons ont revolé sur le visage de mon canonnier et le mien. L'odeur de souffre était indescriptible. Le véhicule s'est fait brasser comme un jouet. On aurait dit un énorme tremblement de terre.»

Deux militaires canadiens, le caporal Nicolas Raymond Beauchamp et le soldat Michel Jr Lévesque, ainsi que leur interprète afghan sont tués. Trois autres soldats sont blessés. Ismaël Fournier ressent une terrible douleur à la jambe droite. «Cela faisait tellement fait mal que j'ai cru ma jambe arrachée.»

À travers la douleur, il constate rapidement qu'il y a des pertes de vie. «C'était clair qu'on ne pouvait rien faire, dit-il sans s'attarder aux détails par respect pour les familles. On aurait aimé ça faire plus, mais on ne pouvait pas dans les circonstances. Ce qui fallait faire était de sortir ceux qui étaient encore vivant, que l'on pouvait sauver.»

Le retour

Grâce au chauffeur et au canonnier qui s'en tirent indemnes, les blessés sont évacués du véhicule et mis à l'abri. «On s'est senti excessivement seuls, poursuit Fournier. Ces quelques minutes nous ont semblé durer des heures. La peur n'était pas présente. On était trop dans un sentiment d'urgence. Je m'attendais à une autre attaque des talibans. J'étais prêt à me défendre. J'étais le seul à avoir une arme avec mon chauffeur.»

Finalement, ce sont d'autres soldats canadiens qui arrivent à la rescousse.

Commence alors un long, très long, retour à la maison. Ramenés à la base d'opération avancée, les trois blessés sont évacués en hélicoptère vers la base aérienne de Kandahar où se trouve le quartier général des forces de l'OTAN pour le sud de l'Afghanistan et un hôpital. Fournier a l'os du talon éclaté par des fragments de métal, une fracture au tibia et au péroné, une articulation endommagée.

De Kandahar, les trois blessés sont envoyés à l'hôpital américain de Bagram dans le nord de l'Afghanistan, puis à l'hôpital de Landstuhl en Allemagne, et enfin à celui de l'Enfant-Jésus à Québec. Ismaël Fournier est opéré quatre fois. Au début de décembre 2007, il amorce un programme de physiothérapie. Il en fait encore.

Faire une différence

En juin 2008, Ismaël Fournier reprend le travail à plein temps. En raison de son handicap, il est affecté à d'autres tâches. Maître-instructeur en soins de base, il fait maintenant partie de la cellule d'instruction. Il donne aussi des conférences sur son expérience.

Son avenir ? Il le voit dans l'armée. Oui, la mort de deux de ses amis l'attriste. Oui, il en veut à ceux qui ont fait détonner la bombe. Il sait que la guerre asymétrique que les pays occidentaux mènent aux talibans est «un travail excessivement difficile» et qu'il sera pratiquement impossible d'éliminer la philosophie derrière la lutte aux insurgés. Mais il croit toujours à la mission canadienne.

«J'ai entendu : 'Ah ! Y'a des soldats qui meurent pour rien.' Y'a aucun de mes camarades qui sont morts pour rien. Moi, je n'ai pas été blessé pour rien. Je sais que j'ai quand même fait une différence. Et je suis fier de ce que j'ai fait.»

Au cours des prochaines années, Ismaël Fournier entend compléter un baccalauréat avant d'être muté à Kingston pour devenir officier, expert dans le renseignement. Entré dans les Forces en 2000, il veut servir durant au moins 20 ans, peut-être 25. Aussi loin qu'il remonte dans ses souvenirs d'enfance, il se voit revêtant l'uniforme militaire. «J'aime ça (il sourit). J'ai tout le temps voulu être un militaire. C'est un rêve d'enfance et je ne suis pas las de mon métier. J'aime mon travail. C'est ma vie pour l'instant, j'adore ça.»