La grande proximité entre la FTQ et la direction du Fonds de solidarité est source de profond «malaise», et le gouvernement Charest, pour le bien de l'économie québécoise, devrait revoir le fonctionnement de cette organisation qui bénéficie largement des abris fiscaux octroyés par les deux ordres de gouvernement, estime le juge Robert Lesage.

«Il y a un malaise devant le conflit d'intérêts entre le bras syndical et celui financier de l'organisation», observe M. Lesage qui avait présidé la commission d'enquête sur le dérapage de la Gaspésia. Ce projet de papeterie à Chandler voguait vers des dépassements de 250 millions quand il avait été stoppé par le gouvernement Landry. Le Fonds de solidarité y avait le haut du pavé et il n'y avait pratiquement que des travailleurs de la FTQ qui pouvaient y travailler, a démontré la commission.  

Le juge Lesage a accordé une entrevue à La Presse au moment où d'autres relations étonnantes entre la FTQ, le Fonds et les investisseurs appuyés financièrement sont mises au jour.

 

Il avoue «ne pas être surpris» des révélations de la semaine dernière sur les vacances prises par le président de la FTQ, Michel Arsenault à bord du somptueux yacht de Tony Accurso, devenu, grâce au Fonds de solidarité, l'un des plus importants entrepreneurs de construction au Québec.

 

«C'est toujours la même histoire. Quand le président (Arsenault) dit qu'on ne gère pas la FTQ de son sous-sol, que les affaires se font comme ça... c'est là le problème!» lance le juge retraité. Son rapport, en mai 2005, a incité Québec à resserrer la loi 135 modifiant le règlement 20 sur la construction en ce qui touche «l'intimidation syndicale» sur les chantiers.

 

Ancien ministre du Travail passé à l'Agriculture, Laurent Lessard se souvient que sa sécurité avait dû être accrue quand ces changements législatifs étaient discutés au Parlement. Québec précisait notamment que les délégués de chantiers ne devaient pas avoir de dossier criminel. Le directeur général de la FTQ-Construction, «Jocelyn Dupuis, était venu en commission parlementaire avec quatre fiers-à-bras, pour nous dire que l'intimidation n'existait pas sur les chantiers», se souvient, amusé, M. Lessard.

 

Fonds de solidarité

 

Le rapport Lesage critiquait sans détour la trop grande dépendance du conseil d'administration du Fonds de solidarité envers la direction de la FTQ. Le Fonds de solidarité est actuellement une cagnotte de 6 milliards ; bien des contribuables y ont investi à cause des généreux rabais fiscaux accordés par Québec et Ottawa depuis 25 ans. Même si les gouvernements ont fermé un peu le robinet, un investissement au Fonds génère des économies d'impôts de 58 à 78 % de la contribution.

 

Pour le juge Lesage, la composition du conseil d'administration du Fonds -seulement cinq des 17 membres ne sont pas directement associés à la FTQ- devrait clairement être revue. «La structure de gouvernance du fonds est déficiente, son conseil d'administration devrait être différent», résume-t-il.

 

«On proposait une commission parlementaire pour évaluer l'existence même de ces fonds syndicaux à capital de risque», rappelle le juge - la CSN a aussi son fonds. C'était même la première recommandation du juge en 2005.

 

Ces fonds-là «ne savent plus où placer leur argent tant ils en reçoivent, explique l'ancien magistrat. Or ils ne sont redevables à personne. Ils font des ententes avec les politiciens... et tout marche selon les contacts. Structurellement, c'est mauvais...» poursuit le juge.

 

Révélations

La Presse a relevé la semaine dernière des liens étonnants entre la direction de la FTQ et l'entrepreneur Tony Accurso. Le président du conseil d'administration du Fonds, Michel Arsenault, a battu sa coulpe en fin de semaine dernière pour avoir accepté l'invitation de l'entrepreneur, sur son luxueux yacht de 119 pieds dans le Sud, en novembre 2008. L'ex-président de la FTQ-Construction, Jean Lavallée, s'y trouvait aussi. Plusieurs dirigeants de la FTQ ont été invités par l'entrepreneur depuis la construction du navire au milieu des années 90.

 

Dans ses explications la semaine dernière, Normand Bélanger, vice-président du Fonds de solidarité, a rappelé que ses investissements dans les nombreuses compagnies de M. Accurso, dont Simard-Beaudry et Accu-sol, avaient été très rentables, un rendement de 12,8% sur deux décennies. Le Fonds n'a jamais nié l'information de Radio-Canada, selon qui le Fonds de solidarité avait, au total, investi plus de 250 millions dans les entreprises de M. Accurso.

 

Selon les informations rassemblées par La Presse, Nicolas Massé, fils d'Henri Massé, l'ancien président de la FTQ, occupe un poste de direction chez Marton Construction, une compagnie de M. Accurso. Comme président de la FTQ, M. Massé était automatiquement président du conseil du Fonds de solidarité.

 

Nicolas Massé a défrayé la chronique en août 2005, quand il avait failli perdre la vie dans un voyage de pêche sur la rivière George, dans le Grand Nord québécois, quand l'hydravion où il se trouvait s'était abîmé dans la rivière.

 

Son père faisait partie de la même expédition de rêve, tout comme Jean Lavallée, alors président de la FTQ-Construction, mais ils ne se trouvaient pas dans le Cessna quand l'accident était survenu. Par la suite, le propriétaire des Grues Guay, Jean-Marc Baronet, qui faisait aussi partie du groupe, avait confirmé que c'est lui qui avait offert le transport aux leaders syndicaux.

 

Un an plus tôt, à l'automne 2004, Grues Guay avait acheté Fortier Transfert, un autre grutier où le Fonds avait investi 1,3 million en 2001. Le Fonds a vendu alors sa participation avec profit, a expliqué M. Bélanger.

 

À la FTQ, personne n'avait voulu commenter alors les détails de l'expédition dans le Nord québécois - pour une semaine. Le forfait coûtait jusqu'à 8800 $ à la pourvoirie prestigieuse de Rapid Lake, avait alors rapporté le Journal de Montréal.

 

Ironiquement, un autre proche d'Henri Massé joue un rôle important dans l'industrie de la construction. Son frère, Richard, est responsable de l'inspection à la Commission de la construction du Québec. Cet organisme créé par Québec après la commission Cliche -à l'origine c'était l'Office de la construction- est chargé de surveiller le respect des règles, des conventions collectives, par les entrepreneurs.