Un groupe d'avocats demande à Ottawa de destituer Pharès Pierre, le nouveau commissaire de l'immigration et du statut de réfugié. Ils affirment que le fait qu'il ait déjà occupé des postes névralgiques dans le gouvernement haïtien de Jean-Bertrand Aristide mine la crédibilité du processus d'admission.

Après exprimé des réserves sur la nomination de M. Pierre il y a quelques jours, les dirigeants de l'Association québécoise des avocats et avocates en droit de l'immigration (AQAADI) ont expédié une lettre au ministre fédéral de la Citoyenneté et de l'Immigration, Jason Kenney, pour lui demander de recommander sa destitution.

 

«M. Pierre ne doit pas occuper le poste de commissaire avec le passé politique qu'il a», résume le vice-président de l'Association, Me Stéphane Handfield.

Le 17 février, Pharès Pierre a obtenu un mandat de trois ans au bureau montréalais de la Commission de l'immigration. Dans ce rôle, il entend les demandes d'asile ainsi que les appels en matière d'immigration et mène des enquêtes dans certains dossiers, notamment des cas de détention.

Or, estime Me Handfield, le nouveau commissaire traîne un passé qui ne convient pas du tout à ses fonctions. Dans les années 90, il a été chef de cabinet du ministre haïtien de l'Intérieur et des Collectivités territoriales avant d'être promu directeur général de ce ministère. Puis, de mars 2002 à février 2003, il a été chef de cabinet du premier ministre Yvon Neptune, sous le régime contesté de Jean-Bertrand Aristide.

«M. Pierre, s'il n'était pas citoyen canadien aujourd'hui, se verrait probablement annuler sa résidence permanente et expulser du Canada, de par ses fonctions passées», dit Me Handfield.

Il souligne que d'autres figures de proue du gouvernement Aristide se sont carrément fait refuser l'accès au Canada dans le passé. Les autorités ont par exemple refusé un visa d'entrée au premier ministre Jacques-Édouard Alexis, en 2004, au motif qu'il s'était fait complice de crimes contre l'humanité. On lui reprochait son inaction devant le meurtre de 11 civils lors d'un massacre connu sous le nom de Carrefour-Feuilles, à la fin des années 90.

«On a un individu qui a travaillé dans le même gouvernement, qui par ses fonctions est probablement au courant des crimes qui ont été commis par le gouvernement, s'il n'a pas, par les décisions qu'il devait prendre, lui-même été complice, affirme Stéphane Handfield. Il ne peut pas agir à titre de commissaire.»

Il n'a pas été possible de joindre un porte-parole du gouvernement pour commenter cette affaire, hier.

Interpellé sur la question plus tôt cette semaine, le ministre Jason Kenney s'est dit inquiet d'apprendre les anciennes fonctions de M. Pierre. Il a admis être le responsable ultime de la nomination. Mais il s'est dissocié du processus de sélection, affirmant qu'il n'avait pas personnellement procédé aux vérifications de sécurité ni interviewé les candidats.

Pharès Pierre a 68 ans. Il a déjà occupé le poste de vice-président et trésorier du comité de direction du défunt Parti progressiste-conservateur de la circonscription de Saint-Jean. Il a également été vice-président de l'aile québécoise de ce parti.

«La personne en question n'était pas associée au Parti conservateur actuel, s'est défendu M. Kenney. Pour ma part, je n'étais pas au courant de ses activités partisanes ici au Canada, ni en Haïti.»

Il a promis de discuter de l'affaire avec le président de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié.

Mais cela ne suffit pas aux yeux du critique libéral en matière d'immigration, Denis Coderre. «De deux choses l'une, déclare-t-il. Ou bien M. Kenney est incompétent, ou bien il a fait preuve d'aveuglement volontaire pour faire une nomination partisane.»

Le député estime que le ministre Kenney doit démettre M. Pierre au plus vite, avant qu'il n'ait à juger des affaires qui mettent en cause des demandeurs haïtiens, dont plusieurs ont justement fui le régime Aristide.