La mort a de nouveau frappé les Canadiens en mission en Afghanistan mardi. Trois soldats, dont un jeune Québécois rattaché à la base de Bagotville, ont péri après la détonation d'un engin explosif improvisé. Cela porte à 111 le nombre de militaires canadiens tués depuis 2002 et confirme un peu plus ce que le premier ministre Stephen Harper disait il y a quelques jours sur l'impossibilité de gagner contre les insurgés. Mais les Occidentaux ont-ils les moyens d'abandonner ce pays qui, sans présence étrangère, est condamné à sombrer à nouveau dans le chaos?

Trois militaires canadiens ont été tués en Afghanistan mardi lorsque leur véhicule blindé a roulé sur un engin explosif improvisé caché sur une route. Comble de malchance, ces trois soldats revenaient d'une mission où ils avaient justement réussi à désamorcer un de ces engins meurtriers.

 

Deux autres membres de l'équipe ont été blessés. Ils ont été évacués vers la base aérienne de Kandahar où leur cas n'inspire pas de crainte. Leurs noms ne seront pas dévoilés.

La mort du caporal Dany-Olivier Fortin, rattaché à la base de Bagotville, ainsi que celle de l'adjudant Dennis Raymond Brown et du caporal Kenneth Chad O'Quinn, deux militaires ontariens, a plongé familles, amis et camarades dans le deuil.

Dans le concert de témoignages entendus hier dans les médias et lus sur l'internet, une des réactions les plus poignantes est venue de Mishelle Brown, la femme de l'adjudant Dennis Raymond Brown et mère de quatre enfants de 6 à 12 ans.

«Je m'attendais à cela. J'y étais préparée. Nous en avions parlé souvent», a-t-elle indiqué au cours d'une rencontre avec les médias.

Le couple avait aussi discuté de cette possibilité avec ses enfants et sur ce qu'ils feraient dans un tel cas.

Mishelle Brown a ajouté que son époux, membre de la Réserve du régiment Lincoln et Welland de la région du Niagara et constable spécial au sein de la Niagara Regional Police, avait travaillé fort pour que son employeur civil lui donne le temps nécessaire à accomplir son mandat militaire.

«Lorsque je lui demandais pourquoi il tenait tant à participer à la prochaine rotation, il répondait (en parlant des insurgés): «Si on ne va pas les affronter dans leur cour, ce sont eux qui vont venir ici.»»

Bagotville en deuil

À Bagotville, base aérienne du Saguenay à laquelle appartenait le caporal Dany-Olivier Fortin depuis 2002, la douleur était tout aussi palpable.

Dans un point de presse tenu en après-midi, les lieutenants-colonels Paul Dozois, commandant par intérim de la 3e Escadre aérienne, et Paul Prévost, commandant du 425e Escadron tactique dont faisait partie le jeune homme de 29 ans, ont insisté sur le fait que l'aide à la famille éplorée constituait leur première priorité.

«Dany-Olivier Fortin était dévoué à sa famille, à sa communauté et à sa base, a déclaré Paul Prévost. C'était un jeune homme fier et responsable. Il était généreux de sa personne.»

Natif de Baie-Comeau, le caporal Fortin était un des nombreux militaires ayant son profil sur le populaire site de réseau social Facebook.

«Danny-O était un gars plein de vie, grand farceur, toujours prêt à aider et aimant la vie», a indiqué Bernard Lachapelle, un de ses amis enregistrés sur son site, dans un échange de courriels avec La Presse.

La dernière fois que le jeune Fortin avait écrit quelque chose sur son site Facebook remonte à samedi dernier. Une courte phrase, «Une autre journée calme», écrite en anglais. Fortin était fiancé. Sa famille immédiate, demeurant dans la ville de Saguenay, a indiqué qu'elle ne s'adresserait pas aux médias.

Quant à Kenneth Chad O'Quinn, autre jeune homme de 29 ans, il était rattaché à la base de Petawawa, en Ontario.

Encore les EEI

L'explosion qui a fauché la vie des trois hommes est survenue mardi, vers 17h40 (8h10, heure de Montréal) dans le district d'Arghandab situé au nord-ouest de la ville de Kandahar. D'aucuns estiment que depuis l'arrivée des troupes canadiennes dans la grande ville afghane du Sud, à la fin de 2005, les violences étaient plutôt contenues dans cette région, comparativement aux nombreuses attaques des insurgés commises par exemple dans les districts de Zhari ou de Panjwayi.

Par contre, dans les dernières semaines, on a enregistré un regain d'activités et d'attaques dans ce secteur. Normalement, les talibans et les autres insurgés sont relativement calmes durant l'hiver et reprennent leurs offensives au printemps.

Au cours des six derniers mois, les 15 derniers soldats canadiens morts en Afghanistan ont tous péri à la suite de la détonation d'un engin explosif improvisé (EEI). Ces bombes artisanales, qui ont aussi fait des ravages dans les rangs des troupes américaines en Irak, sont fabriquées de mille et une façons et sont actionnées à distance, avec un fil ou par la pression des roues d'un véhicule passant dessus.

L'armée canadienne, comme toutes les autres forces occidentales déployées en Afghanistan, cherche par tous les moyens à contrer ces engins meurtriers. Elle a par exemple acheté des véhicules spéciaux pour les détecter et les détruire en bordure des routes. Elle a mis au point un système de brouillage d'ondes dans les cas de bombes actionnées par téléphone cellulaire ou même avec des ouvre-portes de garage.

Par ailleurs, l'achat d'hélicoptères par l'armée canadienne a justement pour objet la réduction des déplacements au sol afin de moins exposer les soldats en mission. Mais plusieurs opérations doivent encore être conduites au sol.

Le rapatriement des corps des trois soldats doit avoir lieu sous peu. Leur mort porte à 111 le nombre de militaires canadiens tués en Afghanistan depuis le début du déploiement en janvier 2002.

 

Des équipes pour désamorcer les bombes

Au cours de l'été 2007, les Forces canadiennes avaient acheté de nouveaux véhicules et formé des équipes spécialement affectées au déminage des bombes artisanales en Afghanistan. Ces équipes, rassemblées sous le nom très technique de «Capacité d'ouverture d'itinéraire de circonstance» (COIC) se déplacent dans des véhicules Husky, Buffalo et Cougar achetés par la Défense au cours des dernières années. Ces véhicules au blindage renforcé ont pour mission de détecter et détruire les engins explosifs improvisés. L'armée n'a cependant pas précisé si les trois soldats tués hier faisaient partie d'une équipe de COIC. Selon le quotidien The Globe and Mail, ils faisaient plutôt partie d'une autre équipe appelée «Force d'intervention armée».

Depuis septembre 2008

Tous les soldats canadiens tués au combat ont été victimes d'une bombe artisanale.

7 SEPTEMBRE Le sergent Scott Shipway, du 2e Bataillon du Princess Patricia's Canadian Light Infantry, meurt après l'explosion d'une bombe artisanale dans le district de Panjwayi, dans la province de Kandahar.

5 DÉCEMBRE Le caporal Mark Robert McLaren, le soldat Demetrios Diplaros et l'adjudant Robert John Wilson sont tués par un engin explosif artisanal au passage de leur véhicule blindé lors d'une patrouille dans le district d'Arghandab, à l'ouest de Kandahar.

13 DÉCEMBRE Le caporal Thomas James Hamilton, le soldat John Michael Roy Curwin et le soldat Justin Peter Jones sont tués lorsque leur véhicule heurte un engin explosif artisanal alors qu'ils patrouillent une zone près de Kandahar.

26 DÉCEMBRE Le soldat Michael Freeman est tué lorsque son véhicule heurte un engin explosif artisanal dans le district de Zhari, près de Kandahar.

27 DÉCEMBRE L'adjudant Gaétan Roberge et le sergent Gregory John Kruse sont tués par un engin explosif lors d'une patrouille dans le district de Panjwayi, à Kandahar.

6 JANVIER Le cavalier Brian Richard Good, des Royal Canadian Dragoons, meurt lorsqu'une bombe artisanale explose au passage de son véhicule blindé dans le district de Shah Wali Kot.

31 JANVIER Le soldat Sean David Greenfield, 25 ans, périt lorsque le véhicule blindé dans lequel il se trouvait a été soufflé par une bombe sur une route de la zone de Zhari, située à l'ouest de Kandahar.

3 MARS L'adjudant Dennis Raymond Brown et les caporaux Kenneth Chad O'Quinn et Dany-Olivier Fortin perdent la vie lorsque leur véhicule blindé est touché par une bombe en bordure de route dans le district d'Arghandab.

 

AFGHANISTAN : les pertes militaires par pays

États-Unis : 661

Royaume-Uni : 149

Canada : 111

Allemagne : 28

Espagne : 25

France : 24

Danemark : 21

Pays-Bas : 18

Italie : 13

Autres pays : 45

TOTAL : 1095

Source : iCasualties.org