Avec son visage de chérubin, Alfie a fait les manchettes en Grande-Bretagne. À 13 ans, il croit être le père d'un poupon, Maisie. La mère avait 14 ans au moment de la conception. Les photos de la petite famille ont semé la consternation. Chaque année, des milliers d'adolescents deviennent parents. Avec les conséquences que l'on imagine: chômage, carences, pauvreté. Mais ce n'est pas tellement l'âge qui fait la différence, affirment maintenant les spécialistes. C'est le milieu familial et le degré de scolarité.

Nathalie Roy a 35 ans. Sa mère, Manon, avait 16 ans quand elle l'a mise au monde. Malgré le numéro de téléphone du Dr Morgentaler qu'elle cachait dans ses poches, Manon n'a pas voulu se faire avorter. «Si je le fais, se disait-elle, le bon Dieu va me punir. Je n'aurai plus jamais d'enfant.»

 

En état de choc, sa mère voulait l'envoyer à la campagne «pour la cacher». Son père a refusé. «On va s'arranger», lui a-t-il promis.

«Mon grand-père a tenu sa promesse», dit Nathalie. Mes grands-parents m'ont gardée pendant cinq ans, jusqu'au mariage de mes parents. Ma mère a terminé son secondaire. Elle a toujours travaillé. Mon père aussi.»

Sans le soutien des proches, que serait-il arrivé? «Je ne serais pas là, c'est certain. On n'était pas riches, mais on n'était pas dans la misère.» Nathalie, nouvelle maman, a un DEC en loisirs et travaille en service de garde.

Pas une question d'âge

Depuis 30 ans, Claudette Bois a tout vu, tout entendu. Éducatrice au centre jeunesse de Laval, «ses» filles de 14 à 18 ans sont en désarroi. Comme leur famille. Fugues, gangs de rue, bars de danseuses nues, elles sont passées par là. Malgré les brisures familiales, le même rêve revient souvent: elles veulent un bébé qui va les aimer pour toujours. Ce n'est pas tant le jeune âge de la mère qui inquiète Mme Bois, ce sont ses antécédents et ses ambitions.

Une vaste étude lui donne raison. Que sont devenues les mères adolescentes de 1993 à 2005?, publiée par Statistique Canada en mai, démontre que le sort socioéconomique des enfants d'adolescents se compare à celui des enfants nés de parents plus âgés, lorsque les parents ont des diplômes équivalents et jouissent d'un milieu aidant.

«Les parents issus de milieux défavorisés sont plus susceptibles de devenir désavantagés peu importe qu'ils aient 16, 26 ou 36 ans», note May Luong, de la division de l'analyse des enquêtes auprès des ménages et sur le travail de Statistique Canada. En revanche, ceux qui viennent d'une famille aimante et qui peuvent compter sur son aide s'en tirent mieux. Avec son soutien, s'ils réussissent à terminer leurs études, leur niveau de vie sera équivalent.

Dans son ouvrage L'expérience de la grossesse à l'adolescence, le psychanalyste et professeur Robert Letendre note que 33% des mères adolescentes admettent être devenues enceintes de façon délibérée; 41% l'ont souhaité mais ne l'ont pas planifié.

Pour 73% d'entre elles, la décision de garder l'enfant s'est imposée à elles immédiatement. Enfin, 54% affirment qu'elle leur permet de réparer le passé et d'avoir une vie meilleure.

Un bébé pour se protéger

Cette vie meilleure, Mélanie Bouchard (nom fictif) l'a souhaitée à l'adolescence. Père absent, mère déficiente, difficultés scolaires immenses. Sans parler des attouchements sexuels et autres sévices dont elle a été victime. Très tôt, les autorités la placent à l'abri de sa famille. Elle a vécu son enfance et son adolescence en institution, a interrompu ses études. À 16 ans, elle n'a qu'un but: avoir un bébé bien à elle. «Pour me protéger plus tard.»

À 21 ans, elle accouche d'un petit garçon, Sean. Elle ne reçoit que très peu de soutien de ses parents. Le petit s'avère difficile, exigeant. Le père part, revient, disparaît. Mélanie craque. «Je sortais, je déménageais souvent.» Les services sociaux l'ont à l'oeil, la visitent régulièrement. Ses relations avec ses parents sont tendues. Elle vit d'aide sociale.

À 24 ans, elle met au monde des jumelles. C'est trop. Sean est à l'école, mais va très mal. Mélanie sombre dans la dépression. Cette fois, les intervenants envoient Sean dans une famille d'accueil. Il a 5 ans. Les jumelles vivent chez le père de Mélanie, le temps qu'elle se prenne en main.

Les placements, la famille connaît. Comme Mélanie, son père et sa mère ont passé leur jeune vie en institution. Sean y a vécu la moitié de la sienne. À 11 ans bientôt, il s'apprête à retourner dans sa famille avec ses petites soeurs. Et Mélanie a commencé tout récemment à travailler dans un restaurant. Son premier job.

Cycle de la pauvreté

Sans diplôme et sans compétences, les risques qu'elle vive de petits emplois et entre dans le cycle de la pauvreté sont grands. Il y a espoir toutefois, comme l'a constaté la chercheuse May Luong. «Les mères adolescentes de 30 à 39 ans ayant un diplôme d'études secondaires ne se distinguent pas des mères adultes avec le même diplôme. Plus encore, à scolarité équivalente, elles sont plus susceptibles (à raison de 41%) d'occuper un emploi à temps plein que les mères adultes.»

Mais le chemin est parfois pénible. «Pour y arriver, les jeunes femmes doivent avoir une bonne estime d'elles-mêmes», insiste Claudette Bois, qui a mis sur pied un programme intitulé «Entraînement à l'amour-propre». Pendant 13 semaines, elle offre des ateliers aux jeunes filles du centre jeunesse. «On les amène à mieux se comprendre, afin qu'elles puissent mesurer les conséquences de leurs gestes». Et terminer leurs études.

Quelques chiffres

Taux de naissances chez les adolescentes de 15 à 19 ans

> Canada: 28,8 pour 1000 (2002)

> Québec: 31,3 (2002)

> États-Unis: 41,1 (2002)

> Suède: moins de 2 (2002)

> Angleterre et pays de Galles: 41 (2006)