Le prix des céréales est à la baisse. Celui de l'essence aussi. Dans les banques alimentaires, pourtant, la demande ne cesse d'augmenter. Au même moment, la menace d'une récession rend les donateurs plus frileux et multiplie le nombre de personnes qui, incapables de joindre les deux bouts, demandent un coup de pouce pour l'épicerie.

«Ici, normalement, il y a des fruits frais. Là, d'habitude, il y a des céréales», explique Sébastien, dans une petite banque alimentaire de la rue Panet. Devant lui, les rayons sont vides.

 

À l'approche des Fêtes, plusieurs banques alimentaires sont dégarnies. Les dons sont plus rares, car le climat économique est inquiétant et une partie de la population est plus prudente que généreuse. Pour les mêmes raisons, dans la région de Montréal, les demandes d'aide ont augmenté et la clientèle des comptoirs s'est diversifiée.

«Depuis trois ans, on voit davantage de gens qui ont un emploi, dit Johanne Théroux, directrice générale de Moisson Montréal. Le coût de la vie augmente et les gens n'arrivent plus à joindre les deux bouts.»

Avec une crise économique en toile de fond, Moisson Montréal a connu une hausse de 50% des demandes d'aide en octobre. Déjà, l'été dernier, lorsque le prix de l'essence a explosé, le téléphone s'est mis à sonner plus souvent à Moisson Montréal. D'autres organismes confirment cette hausse des demandes d'aide d'urgence, qui n'ont pas suivi la récente baisse du prix de l'essence.

Pour Johanne Théroux, cependant, c'est une bonne nouvelle, car cela veut aussi dire que plus de gens osent demander de l'aide. Près de la moitié des gens qui se présentent dans une banque alimentaire sont des parents qui viennent compléter l'épicerie familiale.

Mais les dons, eux, n'ont pas augmenté. Les entreprises alimentaires, qui sont une importante source de dons pour les organismes de charité, gèrent mieux leurs stocks. Il y a moins de surplus, moins de lots non conformes ou mal étiquetés. C'est autant de pertes pour Moisson Montréal, qui récupérait ces aliments, explique Johanne Théroux.

L'organisme veut maintenant faire un peu de transformation pour éviter lui aussi de perdre des aliments, parce que les dons sont parfois bien imprévisibles. Si un énorme chargement de choux arrive à la fin de l'été dans les entrepôts, il est possible que les petites banques alimentaires qui s'approvisionnent à Moisson Montréal ne prennent pas tous les légumes. Plutôt que de les laisser pourrir dans l'entrepôt - une cruelle ironie pour un organisme de récupération -, Moisson Montréal pourrait faire de la soupe.

De même, tous les petits fruits arrivent évidemment en même temps, au moment de la récolte. L'hiver, c'est le grand vide vitaminique dans les entrepôts, de sorte que les bénéficiaires se retrouvent souvent avec des paniers de moins bonne valeur nutritive. «On pourrait blanchir des fruits et légumes et les mettre en conserve, dit Johanne Théroux. Ou encore faire de la confiture, ou tout simplement les congeler.»

Au-delà du macaroni au fromage

Moisson Montréal reçoit cinq millions de kilos de nourriture chaque année. La banque alimentaire refuse très rarement des dons. «Nous prenons ce que le marché nous offre, mais ça crée parfois des dilemmes», dit la directrice. Les arrivages peuvent comprendre des aliments qui ne figurent pas dans le Guide alimentaire canadien.

C'est aussi le cas des dons privés reçus dans les collectes: peu de gens se soucient d'offrir des aliments qui ne feront pas que nourrir celui qui a faim, mais qui le nourriront bien. Lorsque la guignolée cogne à la porte, il est tentant de donner ce qui est dans le fond du garde-manger depuis des mois.

Rue Panet, la valeur nutritive des dons a une importance toute particulière. La petite banque alimentaire est celle de la Fondation d'aide directe sida Montréal. Elle nourrit des gens qui vivent avec la maladie. Environ 400 personnes viennent régulièrement y faire leur marché, et ce ne serait sans doute pas la meilleure idée de les nourrir avec des aliments riches en gras mais vides de vitamines et de protéines. Mais comme à Moisson Montréal, on prend ce qui entre.

Pour être certains que les bénéficiaires se retrouvent avec une bonne variété d'aliments, les gens de la Fondation ont établi un système de pointage, selon les groupes alimentaires. Chaque personne a des points dans chaque catégorie alimentaire, non interchangeables. On ne peut pas remplacer, par exemple, un pot de yogourt par un sac de biscuits.

Une petite épicerie a été aménagée derrière les bureaux. Les bénéficiaires payent 5$ et discutent de leur situation avec un préposé, qui les accompagne ensuite dans le petit marché. On leur donne des sacs réutilisables - aussi reçus en don -, et on s'assure que la commande est équilibrée. Il y a même une catégorie «fantaisie» dans laquelle se trouvent la mayonnaise, la vinaigrette, les olives ou les croustilles. «Notre système fonctionne bien quand on a tous les produits, dit Michel Parenteau, directeur général de la Fondation. Quand on en manque, la chaîne se brise.»

Mercredi matin, Réal remplissait un quatrième sac. «Normalement, il y en a cinq, mais là, on a moins de choix», explique Sébastien, qui l'accompagne. Les deux hommes discutent popote, échangent des recettes. Pas de grande gastronomie, mais des trucs pour éviter de perdre le peu qu'ils ont.

Le marché est en manque de poulet, de saucisses et de côtelettes de porc. Pour la viande, Réal a le choix entre du boeuf haché plus gras que maigre et un plus gros morceau de viande, du type rôti. Il choisit la deuxième option parce qu'il a déjà des pommes de terre et des carottes dans ses sacs, ce qui lui permettra de faire un pot-au-feu. «Réal est un client facile, dit Sébastien. D'abord, il ne se plaint pas parce qu'il y a moins de choix. Et il cuisine. Quand j'aide des gens qui ne savent pas cuisiner, je vais plutôt leur suggérer de choisir du Paris Pâté.»

Depuis quelques années, la clientèle de la Fondation s'est diversifiée, explique le directeur Michel Parenteau. Plus de Haïtiens, plus d'Africains. Alors l'offre alimentaire s'est aussi diversifiée.

Les denrées de la Fondation viennent de Moisson Montréal et de dons privés. Avec les dons reçus en argent, le groupe achète ce qui manque. Une compagnie pharmaceutique a parrainé le programme Bien se nourrir, mieux se guérir, qui permet maintenant à l'organisme d'acheter de la semoule de maïs, des bananes plantains, du manioc, du vivaneau, des légumineuses. Ainsi, tous les bénéficiaires trouvent des ingrédients qui leur permettent de cuisiner ce qu'ils aiment et de manger à leur faim... Au moins une fois de temps en temps.

 

Les banques alimentaires en chiffres

> Les familles représentent 46% des utilisateurs des banques alimentaires.

> Plus de 200 entreprises en alimentation donnent des denrées à Moisson Montréal.

> Chaque semaine, plus de 200 000 kilos de nourriture arrivent à l'entrepôt de Moisson Montréal.

> L'année dernière, les banques alimentaires montréalaises ont donné en moyenne 122 000 sacs de provision par mois.

> Moisson Montréal approvisionne plus de 200 organismes.

> 10% des Lavallois vivent souvent ou parfois une insuffisance de variété et de qualité dans leur alimentation en raison d'un manque d'argent.

> L'année dernière, le nombre de repas offerts par des organismes communautaires liés à Moisson Montréal était déjà à la hausse, avec 18,5% d'augmentation par rapport à l'année précédente.

> Plus de la moitié des ménages ayant recours à des banques alimentaires vivent avec des revenus de l'aide sociale.

> Les gens ayant un emploi, à temps plein ou partiel, représentent un peu plus de 7% de la clientèle des banques alimentaires à Montréal. C'est toutefois une clientèle en croissance pour les comptoirs d'aide.

> Les familles, monoparentales ou biparentales, sont les premières utilisatrices des banques alimentaires, mais les femmes seules les utilisent de plus en plus.

> Les mères de famille monoparentale représentent 17% de la clientèle des banques alimentaires montréalaises; les pères de famille monoparentale, 2,5%

Source: Moisson Montréal