Les 14 000 éducatrices des garderies en milieu familial du Québec auront finalement le champ libre pour se syndiquer au terme d'un feuilleton judiciaire qui aura duré plus de cinq ans.

La Presse a appris que le gouvernement Charest ne contestera pas le verdict rendu par la Cour supérieure le 31 octobre dernier, dans lequel deux lois qui empêchaient les travailleuses de se syndiquer ont été jugées inconstitutionnelles. Québec avait jusqu'à la fin du mois pour interjeter appel.

 

La décision de ne pas contester ce jugement a été prise vendredi au cabinet du ministre de la Justice, Jacques Dupuis. Elle devrait être rendue publique par voie de communiqué demain, ont confirmé deux sources très au fait du dossier à Québec.

Les lois 7 et 8 ont fait l'objet d'une vive contestation de la part des grandes centrales syndicales depuis leur adoption sous le bâillon par le gouvernement Charest en décembre 2003. Elles avaient conféré d'office le statut de travailleuses autonomes à quelque 14 000 éducatrices qui offrent des services de garde d'enfants à domicile et à 11 000 «ressources intermédiaires en santé», ces personnes qui hébergent chez elles des aînés en perte d'autonomie ou des personnes atteintes de déficience intellectuelle.

Le mois dernier, la Cour supérieure a déterminé que ces lois contreviennent à la Charte canadienne des droits et libertés et à la Charte des droits et libertés de la personne du Québec parce qu'elles encouragent la discrimination envers les femmes, qui occupent majoritairement ces emplois, et briment leur liberté d'association. «Les femmes dont il est question dans ce jugement sont dans une situation de vulnérabilité qui découle en grande partie de la nature de leur emploi typiquement féminin, mais également de l'ensemble des conditions qui entourent l'exécution de ce travail dans la sphère domestique, ce qui entraîne l'isolement et la solitude. Ces femmes constituent une minorité historiquement défavorisée, et les lois 7 et 8 viennent renforcer la vision stéréotypée associée à un travail féminin», a écrit la juge Danielle Grenier dans son jugement de plus de 100 pages. Les grandes centrales syndicales avaient unanimement crié victoire.

Cette annonce, en pleine campagne électorale, devrait permettre au Parti libéral d'éviter les tirs groupés des grandes centrales syndicales, qui ont à plusieurs reprises exhorté le gouvernement Charest à ne pas porter cette cause en appel. Le Parti québécois et Québec solidaire avaient appuyé les syndicats dans leur demande.

«Le fait qu'il y ait la parité homme-femme au cabinet des ministres a pesé très lourd dans la balance», a relevé l'une de nos sources.

Des réprimandes jusqu'à l'ONU

Rappelons aussi que le Parti libéral s'est fait réprimander à plus d'une reprise dans ce dossier. En mars 2006, le Bureau international du travail, un organisme lié à l'Organisation des Nations unies, avait notamment blâmé le gouvernement de Jean Charest pour avoir empêché la syndicalisation de ces milliers de travailleuses.

La suite des choses pourrait maintenant aller très rapidement. Les centrales syndicales ont déjà réactivé quelque 1200 requêtes en accréditation déposées avant décembre 2003, auxquelles se sont ajoutées plusieurs demandes pendant le mois de novembre.

Chose certaine, cette décision pèsera lourd dans les finances de l'État. Accorder aux éducatrices en milieu familial les mêmes conditions de travail qu'à celles des centres de la petite enfance entraînera d'énormes dépenses pour l'État. Le chiffre d'un milliard de dollars a même déjà été évoqué.