De hauts responsables au ministère des Affaires étrangères estiment que le gouvernement Harper n'en fait pas assez pour le jeune Canadien Omar Khadr, détenu à la prison de Guantánamo, et que ce dernier «mérite la possibilité de mener une vie normale», a appris La Presse.

«Les agents du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, affirme un document du ministère obtenu par La Presse en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, sont clairement d'avis que M. Khadr mérite la possibilité de mener une vie normale. Pourquoi le gouvernement n'en fait-il pas davantage pour aider ce jeune Canadien?»

 

Le document, daté du 3 juin dernier, contient une série de questions et de réponses concernant Omar Khadr et préparées à l'intention du ministre des Affaires étrangères de l'époque, David Emerson.

Selon une source gouvernementale qui a demandé de ne pas être identifiée et qui est bien au fait du dossier, ces «agents du ministère» sont ceux qui ont été dépêchés à Guantánamo par le ministère pour évaluer le jeune prisonnier.

Rappelons qu'Omar Khadr a été capturé par les Américains en Afghanistan en 2002 à la suite d'une bataille contre des talibans. Le jeune homme, âgé de 15 ans à l'époque, a par la suite été accusé d'avoir tué d'une grenade un soldat américain.

Alors que tous les pays occidentaux ont demandé et obtenu le rapatriement de leurs citoyens détenus à Guantánamo, les gouvernements canadiens successifs ont refusé d'agir en ce sens. M. Harper de son côté s'en remet ouvertement et complètement à l'administration Bush sur cette question. À chaque fois qu'il est interrogé sur cette affaire, il répond immanquablement que M. Khadr fait face à de graves accusations de meurtre et d'appui au terrorisme et que le choix des mécanismes mis en place pour juger les détenus de Guantánamo est une question qui relève des autorités américaines.

«L'évaluation faite à Guantánamo d'Omar Khadr par des agents du ministère des Affaires étrangères envoyés là-bas a permis de conclure qu'une fois retourné au Canada M. Khadr pourrait réintégrer la société, affirme à La Presse notre source gouvernementale. En le sortant de là et en lui faisant peut-être purger quelques mois de prison, pour finir ce qu'il y avait à finir et pour montrer aux Américains que l'on prenait cela sérieusement, il aurait pu réintégrer sa vie normale.»

Le refus du gouvernement Harper de suivre l'avis de ses propres experts aux Affaires étrangères a causé un malaise qui persiste encore aujourd'hui au ministère. «De façon générale, nous avions depuis toujours la consigne de poursuivre la politique traditionnelle du Canada de rapatrier nos ressortissants dans ce genre de situation», affirme une source gouvernementale qui ajoute que même si les hauts fonctionnaires se plient aux ordres du gouvernement démocratiquement élu, ils n'en sont pas moins heurtés et scandalisés par la position gouvernementale en rupture de ban avec la tradition diplomatique canadienne et avec le droit international.

Le porte-parole néo-démocrate en matière d'affaires étrangères, le député Paul Dewar, est d'avis lui aussi qu'en fournissant à M. Khadr les ressources nécessaires à sa réhabilitation au Canada ce dernier pouvait être réintégré à la société canadienne.

«Mais le problème, souligne-t-il, est que le gouvernement est si idéologiquement opposé à cela qu'il n'écoute même pas ses propres experts, des gens que nous payons, pour faire ces évaluations. Nous avons un gouvernement qui veut se prétendre expert de la question des enfants soldats et jouer ce rôle. Et nous savons tous qu'il n'est pas un expert en la matière.»

Constatant la passivité du gouvernement Harper dans ce dossier, Paul Dewar a même écrit au printemps dernier à la secrétaire d'État américaine, Condoleezza Rice, afin que les États-Unis renvoient M. Khadr au Canada. «Maintenant, dit-il encore, nous nous trouvons face à une situation invraisemblable. C'est M. Barack Obama qui s'apprête à décider pour le Canada du sort d'Omar Khadr.» Le président désigné des États-Unis a en effet réaffirmé cette semaine son intention de fermer la prison de Guantánamo.

Le porte-parole du Bloc québécois en matière d'affaires étrangères, le député Paul Crête, constate pour sa part qu'il n'y a plus que le gouvernement Harper qui nie la pertinence de rapatrier M. Khadr. M. Crête souhaite que le nouveau ministre des Affaires étrangères, Lawrence Cannon, adopte «la seule position légale défendable actuellement pour la réputation du Canada» qui est celle de rapatrier le plus tôt possible Omar Khadr.

«Si M. Cannon veut redonner au Canada sa réputation, une réputation amochée solidement sous le régime de M. Bernier, un premier geste significatif qu'il pourrait poser serait de demander que M. Khadr soit rapatrié.»

 

 

QUELQUES FAITS

27 juillet 2002

Omar Khadr, citoyen canadien de 15 ans, est capturé par les forces américaines en Afghanistan. Il est transféré à la prison américaine de Guantánamo à Cuba.

Fin 2005

Omar Khadr est accusé du meurtre d'un soldat américain devant un tribunal militaire créé sur ordre présidentiel.

4 février 2008

Un document secret est par erreur remis aux journalistes présents aux auditions préparatoires au procès. Ce document révèle qu'Omar Khadr n'était pas le seul combattant ennemi vivant dans le périmètre de combat lorsqu'un soldat américain a été tué d'une grenade.

13 mars 2008

Il est démontré au tribunal militaire à Guantánamo que les rapports officiels qui ont suivi l'incident au cours duquel Omar Khadr a été capturé ont étémodifiés après coup. Le rapport original écartait la responsabilité du jeune Khadr dans la mort du soldat américain en affirmant que l'assaillant qui a tué ce dernier avait été abattu.

Novembre 2008

Le président désigné Barack Obama maintient qu'il va fermer la prison de Guantánamo, sans préciser toutefois ce qu'il fera des prisonniers.

26 janvier 2009

Date prévue du procès d'Omar Khadr, soit six jours après l'entrée en fonction de Barack Obama.