En mai 2001, le gouvernement du Québec a inauguré un site internet qui fait la liste des biens non réclamés par des particuliers ou des sociétés. à l'époque, 150 000 dossiers dont la valeur atteignait 87 millions de dollars étaient administrés. Aujourd'hui, on en compte plus de 750 000. Valeur totale: près de 200 millions. Êtes-vous du nombre?

Avis aux administrateurs du Festival de l'orignal de l'Abitibi. Depuis le 22 juillet 2003, une somme de 102,27$ appartenant à votre organisation dort dans les coffres de Revenu Québec.

 

Même message aux organisateurs de l'Association du marcheton pour la piscine de Buckingham. Qu'attendez-vous pour récupérer les 1865,24$ que Revenu Québec a entre les mains depuis le 7 juin 2004?

Ici, nous avons un certain Jean Charest, dont la dernière adresse connue est rue King Ouest, à Sherbrooke. Nous aimerions respectueusement lui rappeler que, en fermant son bureau de député conservateur fédéral, il a laissé derrière lui la somme de 667,37$ à la caisse populaire. Si jamais quelqu'un le croise...

Ces constats, La Presse les a faits en consultant le Registre des biens non réclamés de Revenu Québec. Genre de limbes financiers, le registre est un dépôt centralisé où sont administrés des biens appartenant à des personnes décédées dont on ne connaît pas les héritiers, à des personnes vivantes qui ont oublié des valeurs de toutes sortes (titres, produits financiers, dividendes, actions de compagnies d'assurances démutualisées, contenus de coffrets de sûreté, argent liquide, etc.) ou des biens matériels appartenant à des entreprises dissoutes.

Ce registre a longtemps été administré par le Curateur public. Le 14 mai 2001, afin d'élargir son accessibilité, le Curateur en a lancé une version internet. À l'époque, on y administrait quelque 150 000 dossiers dont la valeur était estimée à 87 millions de dollars. En mars 2006, le registre est passé sous la responsabilité de Revenu Québec, qui l'a étendu à d'autres types de biens. Résultat: le nombre de dossiers atteint aujourd'hui plus de 750 000. Quant à la valeur des biens, elle frôle les 200 millions de dollars.

Ministères, gouvernements, villes...

Fait pour le moins inusité, des milliers de dossiers concernent des ministères, des organismes publics et parapublics, des villes, etc. On trouve même 18 dossiers au nom de... Revenu Québec!

D'autres exemples? L'Université de Montréal a 121 dossiers à son nom, le Curateur public en a 11 (dont un qui vaut près de 72 000$), le gouvernement du Québec, cinq, le ministère des Finances, 60, la Ville de Montréal, 26.

Nous avons aussi trouvé 216 dossiers en tapant «Centre hospitalier» dans l'engin de recherche. Notamment, le Centre hospitalier de l'Université de Montréal, qui fait régulièrement les manchettes en raison des coûts relatifs à sa construction, pourrait récupérer les 3223,01$ (2365,16$ après les frais) que gère l'organisme depuis 1996.

C'est sans parler des sommes non réclamées par des partis politiques, des entreprises bien connues et des personnalités de tous horizons.

Dans bien des cas, les sommes sont dérisoires. Ainsi, on trouve beaucoup de parts de capital social de 5$ non réclamées.

Mais dans bien d'autres cas, les sommes en jeu se comptent en centaines, en milliers, voire en dizaines de milliers de dollars.

«Récemment, un individu a retrouvé un régime de retraite de 275 000$ qui lui appartenait», indique Raynald Breton, directeur de la Direction des biens non réclamés.

En 2007, une personne a eu la surprise de découvrir un héritage de plus d'un million de dollars que lui avait laissé son père adoptif.

Après trois ans d'inactivité, tous les biens sont remis à la Direction. Revenu Québec les administre durant 10 ans, après quoi les sommes de moins de 500$ sont envoyées dans le Fonds des générations de la province pour le paiement de la dette. Les valeurs de plus de 500$ sont administrées sans délai de prescription.

Des dossiers obscurs

Comment tout cela peut-il survenir? Comment le ministère du Revenu peut-il avoir des dossiers le concernant dans son propre registre? La réponse tient dans la complexité des cas.

M. Breton rappelle que, lorsque de nouveaux dossiers arrivent au Ministère pour traitement, ce n'est pas à la pièce mais en nombre. «On peut recevoir un fichier électronique contenant 20 000 dossiers d'un coup», dit-il.

Ensuite commence un long processus de vérification de conformité et d'identification, ce à quoi s'emploient quelque 75 personnes. En raison du volume, la recherche des ayants droit se limite aux dossiers de 2000$ et plus.

De nombreux cas sont associés à des chèques visés émis au nom de ces personnes morales. «Généralement, l'institution financière connaît très bien l'émetteur du chèque, mais elle connaît moins celui qui le reçoit. Or, on doit prouver que l'ayant droit est bel et bien le bon», dit M. Breton.

Depuis la création du site internet, le taux de restitution des biens oscille entre 5 et 15% par année. Ainsi, en 2006-2007, des biens d'une valeur de 9,9 millions de dollars ont été remis aux bénéficiaires d'une centaine de successions et de 5400 produits financiers.

Un taux satisfaisant? Oui, répond Raynald Breton. «Notre taux de traitement des réclamations est en croissance. Il en va de même de la remise aux ayants droit», dit-il.

Le premier ministre Jean Charest sera peut-être un des prochains réclamants. Mis au courant de notre démarche, il s'est souvenu que le compte en question était le tout premier qu'il a ouvert à Sherbrooke, à l'âge de 10 ans. Devenu député à Ottawa, il avait fait faire un changement d'adresse à son bureau de circonscription. «Il n'a jamais voulu fermer son compte, dit son attaché de presse, Hugo D'Amours. Pour lui, il a une valeur symbolique.»

Comment ça fonctionne?

Vous désirez savoir si un de vos proches, une entreprise dissoute ou vous-même avez des biens non réclamés? Voici comment se rendre sur le registre internet des biens non réclamés de Revenu Québec. Il y a deux façons de faire:

1- La plus simple est de taper l'adresse: www.curateur.gouv.qc.ca/cura/html/biens/regstr.htm. Si cela ne fonctionne pas:

2- Allez d'abord sur le site de Revenu Québec: www.revenu.gouv.qc.ca. Vous atteindrez la page d'accueil. Du côté gauche, sous la rubrique «Sections d'intérêt», cliquez sur «Biens non réclamés». Vous allez atteindre la page expliquant le registre. Cliquez sur l'onglet bleu «Registre des biens non réclamés» au centre. Une nouvelle page va apparaître. Cliquez de nouveau sur le lien en bleu «Registre des biens non réclamés» qui se trouve dans le texte. Vous voilà dans le registre. Cliquez sur le lien «Accès au service» et suivez les directives.

Pour les biens non réclamés provenant des banques à charte, il faut consulter le site de la Banque du Canada. Tapez d'abord l'adresse www.bank-banque-canada.ca puis, en haut, choisissez l'onglet «Services» et le lien «Soldes non réclamés». Une nouvelle page s'affichera. Il y a un lien «Utilisez le formulaire de recherche» au centre, vers le bas de la page. Cliquez. Voilà, vous y êtes. On peut aussi taper l'adresse www.banqueducanada.ca/fr/ucb et cliquer sur le lien «Utilisez le formulaire de recherche».

À la Banque du Canada aussi

Il y a une chose qu'on ne trouve pas dans le registre des biens non réclamés de Revenu Québec: les soldes de comptes des banques à charte canadiennes, telles la Banque de Montréal, la Banque Royale, etc.

Lorsqu'un compte est inactif depuis 10 ans, son solde est remis à la Banque du Canada, qui l'administre durant 30 ans. Après cela, les soldes de moins de 1000$ sont envoyés au Receveur général du Canada et enrichissent le Trésor public.

À la fin de 2007, 938 000 soldes non réclamés, d'une valeur de 320 millions de dollars, dormaient dans les coffres de la Banque centrale. À la fin de 2006, elle comptait 845 000 dossiers dont la valeur atteignait 294 millions de dollars.

L'institution gère ces avoirs depuis le 31 décembre 1944. Le plus ancien solde non réclamé dans les registres date de l'année... 1900!